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Le Transfert d'une mémoire - De l'Algérie française au racisme anti-arabe
de Benjamin Stora
La Découverte - Cahiers libres 1999 /  11.45 €- 75  ffr. / 147 pages
ISBN : 2-7071-2968-2

Un sudisme à la française ?

Dans ce nouvel essai, le prolixe Benjamin Stora s'attache à étudier la mémoire de la guerre d'Algérie au sein de l'extrême-droite française, désormais bicéphale. Problème incontestablement intéressant, les discours de Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret et de leurs amis étant émaillés de références à ce douloureux épisode de notre histoire récente. Les nationalistes oscillent en effet entre l'exaltation des harkis, "français par le sang versé", et la diabolisation de l'immigration algérienne, d'autant plus illégitime que les populations européennes, tiraillées entre "la valise et le cercueil", furent rejetées de ce bassin d'immigration dans des conditions tragiques. Au-delà du discours, cette problématique prend une résonance concrète dans la mesure où le vote pied-noir a joué un rôle important dans l'émergence du Front National "historique" : les succès enregistrés dans les zones densément peuplées de rapatriés (P.A.C.A., Languedoc-Roussillon) le démontrent.

Analyser cet aspect particulier de la rhétorique nationaliste est donc tout à fait fondé pour mieux appréhender les succès particuliers de l'extrême-droite française. Benjamin Stora, historien remarqué de la mémoire de la guerre d'Algérie (La Gangrène et l'Oubli, 1991) semblait tout indiqué pour mener ce travail. Mais Benjamin Stora est historien (quiconque travaille sur la guerre d'Algérie ne saurait se dispenser de son Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens et de son Dictionnaire des livres de la guerre d'Algérie), il n'est pas politologue.

L'auteur introduit ainsi un concept intéressant pour mener son analyse : celui d'un "sudisme à la française". Un parallèle entre l'esprit sudiste nord-américain et la mémoire de la présence française en Algérie serait ainsi un critère d'analyse opératoire, mais un certain nombre d'éléments invitent toutefois à nuancer cette vision. Comparer l'esclavage des noirs dans les plantations de Louisiane aux conditions de travail (parfois inacceptables) des fellah dans les oliveraies du Chelif semble ainsi un peu hâtif et simplificateur. De même, comparer l'esprit pionnier des pieds-noirs et des Américains sous les auspices d'un sudisme commun n'est guère convainquant : l'esprit pionnier américain s'appliquait au mythique Far West et certainement pas aux États du sud, un des bassins historiques du peuplement européen et objets d'enjeux bien différents de ceux de la Frontière. Il est d'ailleurs frappant de constater que Benjamin Stora, après avoir introduit le concept, l'abandonne peu à peu en dépit de son maintien dans les seuls titres des chapitres.

Affirmer que les pieds-noirs ont importé d'Algérie un racisme anti-arabe qu'ils ont à nouveau déployé dans un vote d'extrême-droite est une analyse sans doute rapide, en tout cas peu originale : tous les quotidiens nationaux la reproduisent peu ou prou. On aurait aimé, en revanche, que Benjamin Stora décortique cet étonnant paradoxe : comment se fait-il, en effet, que ceux qui ont porté au pinacle les manifestations de fraternisation entre Européens et musulmans du 16 mai 1958 sont parfois les mêmes qui, quelques décennies plus tard, prônent une réduction drastique des effectifs de l'immigration algérienne ? L'auteur rappelle ainsi cette étonnante interview de Jacques Soustelle, penseur de l'intégration en 1955-56 qui, en 1990, déclare que "parler d'intégration, c'est à dire d'assimilation, est une dangereuse utopie" (p. 138).

Se poser en donneur de leçons est, pour le critique, un exercice désagréable. Mais Benjamin Stora politologue déçoit. Sa démonstration ne convainc pas. Pourtant, son essai se lit avec intérêt : il recense en effet un grand nombre de références au "discours algérien" de l'extrême-droite et des éléments biographiques éclairants. En définitive, l'ouvrage de Benjamin Stora est assimilable à un bon et long article de Libération.

Pour une approche satisfaisante de la mémoire de la guerre d'Algérie chez les nationalistes français, on renverra donc, dans l'immédiat, à La Gangrène et l'Oubli pour l'approche historique et aux travaux de Pierre-André Taguieff et de Pascal Perrineau pour les aspects politiques.

Guillaume Zeller
( Mis en ligne le 13/12/1999 )
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