L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Les Halles de Paris et leur quartier - (1137-1969)
de Anne Lombard-Jourdan
Ecole nationale des chartes - Etudes et rencontres 2009 /  15 €- 98.25  ffr. / 248 pages
ISBN : 978-2-357-23003-3

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).

Histoire du ventre de Paris

Anne Lombard-Jourdan, chartiste, est décédée le 13 février 2010, dans sa 101e année. Les Halles de Paris et leur quartier est son dernier ouvrage (à 100 ans !) mais aussi son premier puisqu’il s’agit de sa thèse soutenue en 1933, enrichie de près de 80 ans de recherches et travaux sur Paris et publiée par l’Ecole des Chartes.

D’emblée on retrouve toute la tradition érudite des chartistes : le livre se termine sur des annexes abondantes (pp.148-221) : documents d’archives, enluminures, gravures, complétés d’une bibliographie et de deux index (général et toponymie parisienne). Les notes de bas de page précisent le texte. Anne Lombard-Jourdan fait preuve d’une érudition intelligente, jamais en défaut sur un quartier qu’elle connaît admirablement bien, un quartier paradoxalement méconnu finalement, et ce depuis quasiment sa fondation, puisqu'elle souligne le peu d’archives, alors que dès le XIIe siècle (première mention en 1137, sous Louis VI) et la décision de Philippe Auguste - et ce, jusqu’à leur déplacement à Rungis en 1969 -, les Halles font l’objet de règlements d’Etat, compte tenu de leur importance dans l’approvisionnement de la ville.

Un approvisionnement qui au Moyen Age est d’ailleurs essentiellement un approvisionnement en produits manufacturés, à l’exception du blé et du poisson de mer qui dans les deux cas arrivent par la route ; la viande s’y installe avec quelques difficultés à partir de 1416. Ce n’est que tardivement, au XIXe siècle, que les Halles deviennent un marché essentiellement alimentaire. De la guerre de cent ans à Napoléon III, elles connurent un long temps d’abandon, tout en conservant leur fonction utilitaire, même si entre 1543 et 1572 eut lieu la «réformation des Halles», qui réorganise les règlements généraux. Il fallut attendre l’urbanisme du second Empire, la volonté de Napoléon III, l’œuvre d’Haussmann, à partir de 1857, pour que les Halles soient entièrement repensées, avec une architecture adaptée. Depuis le XIIe siècle, l’Etat s’était peu intéressé à la construction de bâtiments jugés utilitaires, et donc n’exigeant pas une esthétique particulière. De ce point de vue, la halle au blé construite en 1762 est une exception. Peu d’illustrations également avant le XIXe siècle, peu d’histoire des Halles en tant que telles, alors que le monde des Halles est souvent décrit dans les romans et descriptions de Paris en raison de la société qu’il attire, de son pittoresque, du foisonnement des tavernes, de l'hôtellerie, etc., qui s’installent autour de cet important marché à demeure, attirés par les chalands de toute sorte.

Une société bigarrée, qui peut aussi potentiellement représenter une menace de révolte comme au temps de la Fronde. Parmi les permanences que l’auteur relève : les préoccupations d’hygiène, les encombrements de circulation (Henri IV fut assassiné rue de la Ferronnerie alors que son carrosse était immobilisé ainsi). Les autorités centrales marquent un souci constant de réglementer ce qui est le principal marché de la capitale. On y trouve de tout : matières premières, mercerie, objets de Paris, draps, etc. Le marché est constamment à l’étroit, déborde sur les rues voisines et le cimetière des saints Innocents à partir de l’enclos au départ déterminé par Philippe Auguste : les Champeaux. La vocation commerçante de la rive droite s’affirme et les projets, sous l’Ancien Régime, de délocaliser une part des activités rive gauche, se heurtent à des refus. On construit peu, somme toute, sur cet immense espace : deux grandes halles en pierre sous Philippe Auguste (1183), qui seront détruites, Saint Eustache la «cathédrale des Halles» construite entre 1532 et 1637, la halle aux blés en 1762, et enfin, après avoir hésité entre plusieurs projets, les célèbres pavillons de Baltard, entrepris en 1857 (le dernier sera achevé en 1948). Ces pavillons seront impitoyablement démantelés au début des années 1970, et vendus sans état d’âme au marché à la ferraille, à l’exception d’un seul, remonté à Nogent-sur-Marne. Ce n’est d’ailleurs qu’assez tardivement que les Français mesurent l’intérêt de leurs bâtiments utilitaires - architectures de pierre ou de fer - souvent installés au centre de leurs villes, et décident de les conserver.

Finalement, décidément trop à l’étroit, les inconvénients l’emportant sur les atouts, la décision est prise de transférer les Halles à Rungis, en périphérie de la grande ville ; transfert discuté puis réussi, toute l’activité des anciennes halles déménage mais pas la société qui en vivait… ni tavernes ni hôtelleries… Rien de ces huit siècles d’histoire… Anne Lombard-Jourdan est plutôt sereine sur l’utilisation qui a été faite des espaces libérés en plein cœur de la ville : le carreau des Innocents et le plateau Beaubourg qui accueilleront le Forum des halles et le centre Pompidou, après de multiples hésitations et débats.

Un ouvrage fort intéressant qui étudie les Halles sous tous leurs aspects : un quartier parisien, un grand marché. A l’époque où elle a été publiée, l’étude d’Anne Lombard-Jourdan, proche de Lucien Febvre et des Annales, illustrait bien le renouvellement de l’histoire urbaine auquel aspiraient ces historiens ; aujourd’hui, le livre – dans son édition augmentée et actualisée - est toujours essentiel pour suivre sur huit siècles ce quartier de Paris.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l'histoire de la Capitale.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 05/10/2010 )
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