L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Histoire insolite des cafés parisiens
de Gérard Letailleur
Perrin 2011 /  22 €- 144.1  ffr. / 338 pages
ISBN : 978-2-262-03548-8
FORMAT : 15,4cm x 24cm

Jean Piat (Préfacier)

Les cafés parisiens, lieux de vie

C’est sans nul doute le livre d’un passionné qui nous est offert en cette fin d’année. Pour le comprendre, il faut commencer par la fin, par le dernier chapitre dans lequel l’auteur nous fait partager sa connaissance personnelle des décors des cafés d’aujourd’hui. Cette passion lui a donné l’idée de remonter le temps et de brosser un panorama de l’histoire de ce lieu à la fois privé et public depuis les tavernes du Moyen-âge.

Après une brève histoire de Paris depuis les temps lointains de Lutèce, Gérard Letailleur adopte un plan chronologique pour retracer à grands traits une histoire millénaire. Le livre s’ouvre sur une histoire racontée par Grégoire de Tours, au IVe siècle ; un pauvre pêcheur implore saint Martin, patron des buveurs, de l’aider. «Saint Martin boit le bon vin et laisse l’eau courre au moulin», disait un dicton médiéval. Le saint, touché, lui permet de pêcher un poisson de vingt livres qu’il échange contre un repas à l’estaminet voisin. «Certains estiment que le poisson de cette légende serait à l’origine du «poisson», petite mesure de vin consommée au comptoir ou du «poinçon», nom donné aux tonnelets». Si non e vero

Nous circulons ainsi dans les tavernes, les estaminets et autres cabarets du Paris de l’Ancien régime, dans les cafés chers aux philosophes du XVIIe siècle, puis les cafés concerts, bistros de Montmartre, en passant par les caves de Saint-Germain-des-Prés. Gérard Letailleur accumule les anecdotes amusantes. Il rappelle aussi l’introduction du café venu de Turquie sous Louis XIV. Il décrit la vie bruissante des cafés au XVIIIe siècle et sous la Révolution, lieux de discussions politiques. La sociabilité des cafés est riche : lieux d’accueil propices aux hommes de lettres, aux poètes, aux rencontres d’un moment… Des cafés de tout niveau pour des publics variés, des plus pauvres aux plus aisés. Cafés qui se maintiennent plus ou moins facilement, avec les moyens du bord, pendant les guerres, et Gérard Letailleur rappelle le célèbre menu proposé par le Grand Hôtel à Noël 1870 : «Consommé de cheval au millet, foie de chien à la maître d’hôtel, émincé de râble de chat mayonnaise, civet de chat aux champignons, salmis de rat sauce Robert, gigot de chien flanqué de raton, en légumes : bégonias au jus, et en dessert : plum-pudding au jus et à la moelle de cheval».

On croise bien sûr les célébrités attendues, de Voltaire à Jean-Paul Sartre, qui ont rendu célèbre tel café comme le Procope, le Flore ou les Deux-Magots, mais aussi les buveurs poètes comme Verlaine, les peintres et les étrangers habitués de la Rotonde ou de la Coupole dans l’entre-deux-guerres, les hommes politiques comme Gambetta qui fut un orateur de brasserie avant d’étonner la chambre des députés. On se souvient que Jaurès a été assassiné au café le Croissant ; mais aussi les intellectuels de Saint Germain des Prés... A chaque période, des quartiers préférés, rive droite ou rive gauche… Le récit s’arrête pour l’essentiel au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en dépit de quelques souvenirs sur Brassens à la Tour Monthléry, rue des Prouvaires, et une indication rapide des très grandes évolutions actuelles, qui donne envie de suggérer à l’auteur de reprendre son travail pour la période des années 1950/2010.

Entraîné par son sujet, Gérard Letailleur ne résiste pas à multiplier les anecdotes, même éloignées, et livre au lecteur une impressionnante galerie de personnages ou de simples silhouettes rapidement croquées mais qui rendent la lecture vivante, variée. Un appareil critique, notes et bibliographie, montre le sérieux et l’étendue de la documentation de l’auteur. On regrettera seulement l’absence d’index et surtout d’illustrations qui auraient donné plus de chair au propos. Mais au total un livre agréable à lire, si possible au café, pour trinquer à la santé du peuple parisien qui est peut-être le véritable héros de l'ouvrage.

Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 20/12/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)