L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Une autre histoire des océans et de l'homme
de Christian Buchet
Robert Laffont 2004 /  19 €- 124.45  ffr. / 236 pages
ISBN : 2-221-09982-6
FORMAT : 14x21 cm

Préface de Jacques Chirac.

L'auteur du compte rendu : Claire Laux est maitre de conférences en histoire contemporaine à L'université de Bordeaux III, et l'auteur d'une thèse sur les missions en Océanie.


La mer autrement

Christian Buchet est sans contredit l’un de nos plus grands spécialistes d’histoire maritime : sa thèse sur l’espace caraïbe au XVIIe siècle, éditée par la Librairie de l’Inde, tout comme ses travaux sur le financement des marines françaises et britanniques à l’époque moderne ou ses éditions de textes de récits de voyage (tour du Monde de l’Amiral Anson, expéditions de Wallis, Bougainville et Cook à Tahiti) font très légitimement autorité. Depuis déjà quelques années, sa passion de la mer l’a conduit à sortir du strict domaine de l’histoire moderne pour établir un pont entre le passé et l’actualité, ce que trop peu d’historiens font (laissant aux journalistes ce soin dont ils s’acquittent parfois fort mal) et encore moins avec autant de brio. L’année dernière, avec Les Voyous de la mer (Ramsay, 2003), C. Buchet s’attaquait de front à l’énorme scandale que constitue l’absence de politique claire et concertée dans le domaine de l’environnement maritime.

Cette année, avec sa très belle Autre histoire des océans et de l’homme, il nous entraîne dans une succession de rendez-vous manqués, ceux de notre pays avec la mer. Mais il s’agit d’une histoire ouverte sur l’avenir et résolument optimiste : «(…) La France maritime est une histoire d’occasion perdues. Mais le récit de ces rendez-vous manqués est aussi la promesse d’un futur plus propice. Notre pays n’a jamais été grand qu’en s’ouvrant au monde. Après avoir été un handicap, quand il fallait défendre tant de côtes, le fait que nous soyons aujourd’hui la deuxième puissance mondiale en kilomètres carrés de mer est un atout majeur pour le XXIe siècle», conclut C. Buchet qui n’a pas moins précédemment parlé de l’ «autisme» de la France.

En fait, le livre dépasse largement le cadre des relations entre la France et la mer. Les deux premiers chapitres («Epinal-sur-mer» et «Aux origines de la mer») montrent comment la mer a toujours été à la fois essentielle et incongrue pour les hommes, source de vie mais aussi de questionnements multiples (et sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, «l’homme est toujours plus vide de réponses que de bonnes questions»), pour en arriver à ce que Christian Buchet appelle le «destin maritime de la France», défini par cette formule paradoxale : «non seulement notre pays porte dans sa chair – dans ses pierres - la mer, mais il a depuis les premiers matins du monde baigné dans l’océan (…) Et (la France) n’a presque jamais paru s’en apercevoir». Dans le chapitre suivant, la France n’est à nouveau qu’une actrice secondaire : il y est question des premières «thalassocratie » antiques et médiévales puis de l’épopée ibérique des débuts de l’époque moderne, ces «grandes découvertes» qui furent essentiellement des aventures maritimes.

Apparaît alors la France, celle de François Ier puis de Richelieu et enfin de Louis XIV, qui se taille une belle part en Méditerranée et dans l’Atlantique. Mais, Christian Buchet l’explique brillamment, elle oscille entre terre et mer, le traité de Paris de 1763, en mettant un terme à la seconde guerre de cent ans, consacre la supériorité maritime de l’Angleterre. Et les épisodes de la Révolution et de l’Empire ne font qu’accentuer un retard que l’époque contemporaine ne parvient pas à combler.
Après un chapitre qui analyse en profondeur et de manière très convaincante les causes de ce désintérêt, ou de cet intérêt à éclipses, les deux derniers chapitres traitent du présent et de l’avenir («La mer notre avenir» et «Prendre le large»), revenant sur les gigantesques potentialités, en particulier économiques, que les océans offrent à nos sociétés ultra-technicisées.

Préfacé par Jacques Chirac, cet ouvrage est un livre important : derrière l’intelligence de l’interprétation historique, il y a les enjeux politiques actuels, tout ce que nous avons à gagner et tout ce que nous avons à perdre en nous tournant vers le maritime ou en l’ignorant. Il est temps d’en finir avec ce que Christian Buchet appelle le «complexe d’Astérix». Voici donc un livre très bien écrit, émaillé de fort belles références littéraires (prouvant, s’il en était besoin, à quel point les océans furent aussi sources d’inspiration pour les artistes), qui se lit avec beaucoup de plaisir, où l’on s’instruit sans s’ennuyer, bref un cadeau à faire d’urgence à tous ceux qui s’intéressent à la mer, à l’histoire, à l’environnement ou tout simplement à la politique !

Claire Laux
( Mis en ligne le 09/06/2004 )
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