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Madame Chiang Kai-shek - Un siècle d'histoire de la Chine
de Philippe Paquet
Gallimard 2010 /  28 €- 183.4  ffr. / 776 pages
ISBN : 978-2-07-012936-2
FORMAT : 15,3cm x 24,2cm

Préface de Simon Leys

''Madame''

«Eh, Messieurs, laissez venir aux femmes la fantaisie de transmettre leurs fastes à la postérité, et vous verrez à quel rang on vous y pourra mettre et si elles ne s’adjugeront point peut-être sur de plus justes raisons la prééminence que vous usurpez avec tant d’orgueil». Cet aphorisme de Jean-Jacques Rousseau, Philippe Paquet a choisi de le placer en exergue de son dernier ouvrage Madame Chiang Kai-shek dans lequel il revient sur le parcours à tout le moins extraordinaire de celle qui fut l’épouse du «Président de la République de Chine»… à Taïwan.

Si Chiang Kai-shek se faisait appeler «le Généralissime», sa femme se faisait appeler «Madame». Ils formaient un couple profondément complémentaire. En effet, «Mayling avait au plus haut degré cette qualité, qui en langage de théâtre, caractérise les plus grands artistes de la scène. Quant à Chiang, c’était l’inverse : impénétrable et muet, il faisait vraiment figure de l’homme-qui-n’était-pas-là». Pendant quarante ans, c’est-à-dire jusqu’à sa disparition en 2003 à l’âge de 103 ans, Mayling Soong fut la première dame de Chine, puis de Taïwan. Son influence et sa popularité transcendaient les frontières, si bien que d’aucuns en ont conclu qu’elle fut «le plus grand homme d’Asie», rien de moins.

Son destin fut à proprement parler hors du commun. La vie de Madame Chiang Kai-shek se confond, il est vrai, parfaitement avec l’une des périodes les plus mouvementées et dramatiques de l’histoire de la Chine moderne. Issue d’une famille richissime de Shanghai, comptant pas moins de six enfants dont trois filles et trois garçons, Mayling Soong vient au monde en 1898, au moment où s’éteint la dynastie des Qing. Peu après débuta la Première Guerre mondiale, la naissance de la jeune République, puis la guerre civile, l’agression japonaise, la Seconde Guerre mondiale et à nouveau la guerre civile.

A une époque où les Chinoises n’avaient aucun droit à l’éducation, elle fut envoyée aux États-Unis pour y étudier. A l’âge de neuf ans, elle découvrit donc le «Nouveau Monde», où elle demeura entre 1907 et 1917. Cette éducation dans deux cultures si différentes fut naturellement un atout majeur : elle put ainsi devenir polyglotte au point de maîtriser non seulement le chinois et l’anglais, mais aussi le français. Elle devint également une chrétienne fervente. Tout ceci lui permit de se hisser au rang d’intermédiaire incontournable entre son pays et les États-Unis d’Amérique, après avoir épousé le futur président chinois Chiang Kai-shek.

L’ambition de l’auteur est de contribuer à faire reconnaître la véritable place que Mayling a acquise dans l’histoire de la Chine. Et elle est éminente. Madame Chiang Kai-shek s’immisça dans l’arène politique, où son activité fut «étroitement liée aux vicissitudes de la longue confrontation entre nationalistes et communistes». En matière diplomatique, son rôle fut à tout le moins «crucial (…) à un moment où la survie de la Chine se trouvait en jeu». Comme le note par ailleurs le préfacier Simon Leys, «la destinée et la psychologie de Mayling sont inséparables du grand bouleversement socioculturel de son époque : effondrement d’une tradition multimillénaire, avènement d’une culture nouvelle sous l’impact occidental». Sa carrière illustre surtout «la lutte d’une femme d’exceptionnelle envergure qui entendait poursuivre un rôle public que la société de son temps réservait exclusivement aux hommes». Les multiples facettes de Madame Chiang Kai-shek que dévoile P. Paquet au fil des pages permettent de saisir «l’interaction entre une personnalité historique et l’histoire : la première est un produit de la seconde, mais, à son tour, elle infléchit celle-ci».

Un excellent ouvrage !

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 19/04/2011 )
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