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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Pierre Cot - Un antifasciste radical
de Sabine Jansen
Fayard 2002 /  30 €- 196.5  ffr. / 680 pages
ISBN : 2-213-61403-2

Pierre Cot

Il en va parfois de l’itinéraire politique de quelques hommes comme de certaines étoiles filantes dont le lustre et l’éclat fascinent à tel point qu’on en oublie la trajectoire. Pierre Cot est assurément de ceux-là. Son parcours échappe à première vue aux carrières traditionnelles qui épousent souvent une pente conduisant d’un idéalisme juvénile ou d’un progressisme parfois révolutionnaire à un réalisme qui s’accuse avec l’âge ou à un conservatisme plus ou moins éclairé. À l’instar d’un François Mitterrand, l’ancien ministre de l’Air d’Édouard Daladier puis de Léon Blum a traversé un demi-siècle d’histoire politique à rebours de la plupart de ses contemporains.

Ce cheminement atypique en a dérouté plus d’un jusqu’à nos jours au point qu’une énigme Pierre Cot semblait avoir bel et bien existé. Ce mystère s’était encore épaissi lorsque Thierry Wolton avait affirmé que celui-ci avait été un agent au service de l’U.R.S.S. tout au long de sa vie. Le premier mérite de l’ouvrage de Sabine Jansen est de tordre le cou à cette accusation fantaisiste, mais ce n’est pas là le seul.

À travers cette imposante biographie nourrie de nouvelles et nombreuses archives – y compris russes -, elle nous dévoile un homme politique dont l’itinéraire est à la fois nettement plus complexe mais également plus cohérent que ne le pense souvent l’opinion. Car Pierre Cot ne se résume pas, tant s’en faut, à l’agent soviétique supposé. On apprend d’emblée la formation religieuse qu’il a reçue au matin de sa vie. Et il ne s’agissait pas seulement d’un vernis familial appelé à s’écailler dès l’émancipation du jeune homme, d’une formation résiduelle. Cot a manifesté dès son plus jeune âge un engagement catholique profond et militant. Il appartient en effet à l’A.C.J.F. dans le département de l’Isère et y tient un rôle actif. On peut donc le situer très clairement dans la mouvance de la droite catholique dont il ne se déprendra définitivement qu’après la première guerre mondiale. Cela principalement en raison du primat accordé par ce brillant avocat à la paix et aux principes du droit.

Placé dans le sillage de Raymond Poincaré au lendemain de la guerre, il échoue une première fois aux élections législatives et réoriente alors son positionnement vers les « Jeunes Turcs » d’un radicalisme à la fois plus conforme à ses aspirations et sans doute politiquement plus porteur à ses yeux. Ministre de l’Air à deux reprises, il entreprend une oeuvre audacieuse qui conduit à la création d’Air France et de l’armée de l’Air. Il garde de son expérience ministérielle du Front populaire cette sorte de nostalgie d’un âge d’or dont il essaiera sans cesse par la suite de retrouver l’esprit, l’énergie comme les accents populaires. À cet égard le Parti communiste sera pour lui avant tout l’incarnation la plus fidèle de la classe ouvrière.

Pour l’heure, dans une France des années trente où les périls extérieurs de l’époque semblent échapper à la plupart de ses contemporains, il porte sur la situation internationale un regard lucide teinté d’un pacifisme chevillé au corps. Il est ainsi un partisan acharné de la conclusion d’un pacte franco-soviétique. Ce pacifisme ne lui sera pas pardonné par les gaullistes au moment où il songe vainement à rejoindre Londres. Il part alors pour les Etats-Unis où il poursuit son évolution politique et noue des contacts avec les agents soviétiques, persuadé qu’à la Libération, les communistes français et l’U.R.S.S. oeuvreront mieux que quiconque à la reconstruction nationale et épargneront à la France et à l’Europe une éventuelle résurgence fasciste.

Dès lors et jusqu’à sa mort en 1977, il ne laissera pas de soutenir le Parti dont il sera l’un des députés par le truchement de l’Union progressiste. Maintenu dans une admiration sincère mais à bien des égards naïve pour Staline et le modèle soviétique, obsédé par la menace allemande et le danger fasciste, il défend sans cesse et contre toute évidence le «modèle» communiste selon une logique politique qui le coupe des réalités et l’enferme dans des contradictions insolubles.

Remercions Sabine Jansen pour avoir dissipé en partie l’écran de fumée qui entourait la personnalité comme le parcours de Pierre Cot dont l’antifascisme est assurément l’une des clés d’explication les plus pertinentes. Ce livre nous révèle un homme plus complexe qu’il n’y paraît mais qui échappera désormais aux caricatures hostiles ou louangeuses auxquelles conduit toujours une insuffisante connaissance historique.

Jérôme Cotillon
( Mis en ligne le 05/05/2003 )
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