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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Henri Irénée Marrou - Historien engagé
de Pierre Riché
Cerf - Histoire - Biographie 2003 /  35 €- 229.25  ffr. / 420 pages
ISBN : 2-204-07079-3
FORMAT : 15x24 cm

Préface de René Rémond.

L'auteur du compte-rendu : chercheur au Centre d'Histoire de l'Europe du Vingtième Siècle (Sciences-Po, Paris), spécialiste de Walter Benjamin, Nathalie Raoux s'intéresse plus largement à l'histoire des intellectuels français et allemands au XXe siècle. Elle vient de traduire Allemands en exil. Paris 1933-1941 (Autrement, 2003).


Présence de Henri Irénée Marrou

Voilà donc un brillant et instructif «portrait du maître» et d’un maître : Henri Irénée Marrou. Un portrait bienvenu et nécessaire, né d’un triste constat : si dans les années qui suivirent la mort de H.-I. Marrou, survenue en avril 1977, son œuvre et sa figure restaient encore vivantes, le temps passant et les amis, les collègues se faisant plus rares, le nom d’Henri Irénée Marrou comme le souvenir de ses engagements risquaient fort de sombrer dans l’oubli. C’est donc un véritable travail de mémoire – et il ne s’en cache pas – qu’accomplit ici l’un de ses disciples, Pierre Riché, mais avec cet art d’historien qu’on lui connaît. Il a fait son miel des témoignages, des archives de tous ceux qui ont pu côtoyer Marrou, et bien évidemment plongé, avec bonheur, dans l’œuvre même de son maître qu’il cite abondamment et fort à propos, soucieux de nous offrir un «Marrou par lui-même» ou un «Marrou en son temps».

Présence de Henri Irenée Marrou, c’est d’ailleurs peut-être ainsi qu’aurait pu s’intituler l’ouvrage tant Pierre Riché a touché au but qu’il s’était fixé. Présence d’un historien dont l’œuvre fut largement reconnue et célébrée, tout d’abord. Que l’on se souvienne de ses travaux sur la culture intellectuelle et religieuse de l’Antiquité tardive, ou sur les Pères de l’Eglise, en particulier sur Saint-Augustin, sujet déjà de sa thèse et auquel il revint sans cesse… Quant à ses réflexions fondamentales sur la science historique, ne dit-on pas de son ouvrage De la connaissance historique (1954), s’il lui valut les «sarcasmes» de l’Ecole des Annales, qu’il fit toutefois office de «discours de la méthode» pour bon nombre d’historiens de son temps ?

Mais présence également d’un historien qui, porté par sa foi chrétienne, fut de tous les combats de son temps. On le découvre dans le cercle de la revue Esprit, à laquelle il collabora dès 1933. Puis vint la Résistance, menée à Lyon, où il fut nommé au printemps 1941, dans les rangs du mouvement «Combat», et la Guerre d’Algérie durant laquelle il dénonça la torture dans les colonnes du Monde ou de Témoignage chrétien.

Ses combats n’eurent pas pour unique scène celle de l’Histoire majuscule. C’est aussi là où elle croisait sa sphère personnelle que s’engagea Marrou. On pense bien évidemment à l’enseignement où, membre du SGEN depuis sa fondation en 1937, il n’eut de cesse que de porter des projets de réforme d’un système scolaire dont, étudiant puis enseignant, il avait bien perçu les failles. Signalons toutefois que Mai 1968 le laissa partagé, tiraillé entre un sentiment de compréhension et la condamnation des excès estudiantins. Ses combats ne se cantonnèrent pas aux seuls bancs de l’école secondaire ou des amphithéâtres sorbonnards. Alliant, comme l’écrit René Rémond dans son éclairante préface, «liberté d’esprit et fidélité à l’Eglise», Henri Irenée Marrou y a joué un rôle important, rejetant tout à la fois l’intégrisme et le progressisme des catholiques dits «de gauche»…

Présence, enfin, et plus fondamentalement encore, d’un historien dans notre temps, car l’on ne referme pas cet ouvrage sans en tirer quelques leçons sur la formidable présence d’esprit d’un historien dans une histoire qu’il prit à bras le corps…

Nathalie Raoux
( Mis en ligne le 06/10/2003 )
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