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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Marcel Déat - Du socialisme au national-socialisme
de Jean-Paul Cointet
Perrin 1998 /  24.24 €- 158.77  ffr. / 418 pages
ISBN : 2-262-01227-X
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte-rendu: Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à l’Université Bordeaux III et à l’IEP de Paris. Chargé d’études au Service historique de l’armée de terre, il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com.

“ Etes-vous humain, Monsieur Déat ? â€

Ces quelques mots auraient été formulés par le Maréchal Pétain en mai 1944 lors d’une rencontre entre les deux hommes. Peu importe qu’ils aient été réellement prononcés. La phrase résume bien la dimension majeure d’un homme, cérébral et militant, dont Jean-Paul Cointet nous livre ici, après un Pierre Laval (Fayard, 1993), une volumineuse biographie. Confronté au souci de tout biographe, qui est de mesurer la cohérence d’une vie et ses ruptures, l’auteur présente un itinéraire idéologique complexe qui mène du socialisme au fascisme, de l’agnosticisme à la foi catholique.

Né en 1894, provincial et “ héritier ” pour reprendre une distinction établie par Albert Thibaudet, la carrière de Marcel Déat est une illustration du système méritocratique républicain. La khâgne d’Henri IV lui ouvrit les portes de l’Ecole normale supérieure à l’été 1914, qui se refermèrent rapidement pour lui lors de la déclaration de guerre. Il y entra en 1919 pour y préparer l’agrégation de philosophie. Militant parmi les étudiants socialistes de l’Ecole et à la S.F.I.O., il hésita un moment entre une carrière universitaire vers laquelle le poussait son maître Célestin Bouglé, et l’attrait de la politique. Celle-ci fut la plus forte pour un esprit spéculatif qui se plaîsait à l’étude des doctrines politiques.

Issu de la “ génération du feu ”, l’expérience de la guerre fut déterminante. Appelé comme simple soldat en 1914, il revint du champ de bataille capitaine, décoré et cité. Patriote mais profondément pacifiste comme tant d’autres qui survécurent, l’entre-deux-guerres constitua pour lui, la période du “ massacre des possibles ”, comme l’indiquent ses Mémoires politiques (publiés en 1989), marqués par l’échec de ses tentatives de rénovation du socialisme. Jean-Paul Cointet montre le rôle fondamental de deux hommes, Blum puis Laval, dans les inflexions que connut sa carrière. Elu député S.F.I.O. de la Marne en 1926, Déat prit très tôt position pour une ligne politique ferme de participation au gouvernement et d’alliance avec les radicaux permettant d’unir les classes moyennes et les paysans dans un vaste ensemble politique. Blum semble avoir été séduit par la personnalité et la pugnacité de l’homme au début des années 1920 et lui confia des responsabilités au sein du groupe parlementaire. Dans ses Perspectives socialistes (1930), Déat résumait et reprenait ses thèses qui allaient à l’encontre des idées de Blum. “ Le paysan contre l’esthète ”, ainsi Raymond Abellio résuma-t-il l’opposition des deux hommes. Mais au-delà des différences de sensibilité et de caractères, tous deux avaient des conceptions totalement opposées de la tactique politique à gauche.

L’arrivée de Hitler à la chancellerie marqua une étape nouvelle dans les idées de Déat : le socialisme français devait, pour arriver au pouvoir et défendre la paix en Europe, intégrer la Nation dans son programme politique. Exclus en 1933 de la S.F.I.O., les “ néos-socialistes ” se réfugièrent dans un Parti socialiste de France que la bipolarisation de la vie politique après le 6 février 1934 condamna à l’échec. L’année 1936 marqua une inflexion supplémentaire dans la voie vers le fascisme. Défendant des idées de planisme européen en matière économique, pour garantir la paix, il songeait déjà à une forme de collaboration entre différents régimes autoritaires.

Celui qui déclarait dans L’œuvre en mai 1939 refuser de “ Mourir pour Dantzig ” donna un tour nouveau à son engagement après la défaite. L’utilisation par Jean-Paul Cointet de son Journal inédit rédigé pendant la guerre et perdu lors de la fuite en Italie est à cet égard très éclairante. Partisan très tôt déclaré de la collaboration, il soumit dans l’été un projet de parti unique à Pétain, repoussé par l’entourage maréchaliste. Dès lors, il tenta de s’appuyer sur Laval dont il comprit rapidement qu’il était au cœur de toutes les combinaisons politiques à venir. Hostile à l’esprit réactionnaire de Vichy, à l’épuration des fonctionnaires républicains, il essaya de défendre l’idée d’une collaboration de gauche. L’appui d’Otto Abetz lui permit de fonder le Rassemblement national populaire (R.N.P.), ébauche dans son esprit du parti unique. Jouant tout à tour Laval, Abetz et même Pétain, il parvint à revenir au gouvernement en mars 1944.

Persuadé jusqu’au dernier moment de l’avenir de la collaboration européenne, incapable de revenir sur une construction intellectuelle ébauchée dans les années 1930, son itinéraire s’acheva à Sigmaringen. Caché dans un couvent italien jusqu’à sa mort en 1955, l’ancien “néo” se convertit au catholicisme, ayant rédigé ses Mémoires sans rien remettre en cause de son parcours et de son socialisme initial.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 11/10/1998 )
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