L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Pierre Bayle
de Hubert Bost
Fayard 2006 /  27 €- 176.85  ffr. / 684 pages
ISBN : 2-213-62592-1
FORMAT : 14,0cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).

Éveil de l’esprit philosophique

La mémoire étant devenu dans notre société un devoir, les anniversaires dictent désormais les intérêts du public et les publications des chercheurs. Or, Pierre Bayle, philosophe, précurseur des Lumières et auteur du célèbre dictionnaire qui porte son nom, est mort voici 300 ans. C’est l’occasion de mieux faire connaître un homme au parcours exceptionnel et à la pensée d’une audace remarquable : son influence et sa postérité sont telles qu’il est regrettable que Bayle ne soit pas mieux connu.

Pierre Bayle est né en 1647 dans un village des Pyrénées. Son père, pasteur de l’Église réformée, n’est pas riche : ce n’est que quand son aîné s’apprête à quitter le collège en 1666 que Pierre peut partir à Puylaurens pour étudier et devenir lui-même pasteur. Mais confronté au catholicisme, ses convictions vacillent : il se convertit et part à Toulouse suivre les cours du collège jésuite mais finit par abjurer pour revenir à la religion réformée. Cet acte fait de lui un relaps qui doit quitter la France. Déçu par l’Académie de Genève et toujours à court d’argent, il devient précepteur des enfants du comte de Dohna pendant quelques années puis rentre en France et devient précepteur à Rouen puis à Paris – ville dont il rêve depuis toujours – chez M. de Beringhen (1675). Sa jeunesse n’a donc pas été facile, il ne cesse de courir l’Europe, quémande sans cesse de l’argent à sa famille, occupe des places peu considérées mais rencontre également des amis et des professeurs qui forment son esprit. Il écrit souvent à son frère ou son père des lettres où son style prend consistance : ses écrits sont lus à la communauté pour leur saveur, leur ironie et leur intelligence. Mais le poste ne le satisfait guère : il parvient à se faire nommer à Sedan grâce à l’aide de Jurieu et de Basnage puis, après la fermeture de l’Académie de Sedan, part à Rotterdam, toujours comme professeur. C’est alors qu’il se fait réellement connaître dans le monde des lettres par deux opuscules anonymes d’une grande originalité intellectuelle, les Pensées diverses sur la comète et la Critique générale.

Certain de l’importance de la diffusion des travaux des savants et de l’utilité d’en donner des recensions qui combinent résumé et jugement, il lance Les Nouvelles de la République des lettres depuis les Provinces-Unies. Ce périodique a un grand succès dans l’Europe savante. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 marque une nouvelle étape dans l’audace de sa pensée. Il critique dans plusieurs écrits la politique de Louis XIV et réfléchit à l’importance de la tolérance dans une société. Mais sa pensée est d’une telle audace que Bayle se trouve bientôt en marge : son plaidoyer pour la liberté de religion est vu comme un relativisme intolérable pour ses nombreux ennemis. Une longue querelle l’oppose même à son ancien ami Jurieu qui finit par obtenir que Bayle soit destitué de sa chaire à l’École illustre en 1693. Mais à cette date, Bayle a déjà un autre projet qui est bien entamé. Sa méthode de critique systématique des idées reçues, sa volonté de remettre en cause les connaissances mal fondées l’ont amené à vouloir écrire un dictionnaire. Celui de Moréri qui fait alors référence est en effet truffé d’erreurs, d’idées mal fondées, de faits sans cesse répétés et jamais vérifiés. Les conditions d’écriture et d’édition ne sont pas faciles mais Bayle remet en cause dans de très nombreuses notes la connaissance et, partant, la vision du monde que l’on pouvait alors avoir. Il meurt en 1706, dix ans après la sortie de son dictionnaire qui a un immense succès tout au long du XVIIIe siècle.

Malgré l’importance du personnage, une seule vraie biographie avait été écrite. Hubert Bost reprend, amende et approfondit les travaux d’Élisabeth Labrousse. Directeur d’étude à l’École pratique des hautes études, spécialiste du protestantisme à l’époque moderne, il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur Bayle, notamment un Pierre Bayle et la religion (PUF, 1994) en attendant Bayle historien, critique et moraliste (annoncé chez Brepols, 2006). Le biographe de Pierre Bayle dispose de deux avantages qui ne sont pas négligeables. Le premier tient au personnage : son parcours, par son originalité, appelle des commentaires nombreux et pose des questions passionnantes. Second avantage : la vie de Bayle est relativement bien connue grâce à son journal, à la biographie de Des Maizeaux qui possède des renseignements de première main, et surtout grâce à une extraordinaire correspondance dont la publication est en cours à la Voltaire Foundation. On voit ainsi naître une pensée d’une grande originalité, les idées des Lumières chez un homme du Grand Siècle. Mais au-delà, la biographie éclaire la vie sociale et intellectuelle du Refuge huguenot et la période si controversée de l’édit de Fontainebleau.

Hubert Bost use ici d’une écriture sobre et agréable, n’hésitant pas à faire part au lecteur des problèmes de sources et des inconnues dans le parcours qui est retracé. Il expose les hypothèses des chercheurs qui l’on précédé, dressant ainsi un tableau clair et objectif de la recherche sur Bayle. Sans doute faut-il y voir l’influence de l’objet d’étude sur son biographe ! De longues citations de la correspondance ou, parfois, du Dictionnaire donnent au lecteur un exemple des sources utilisées et en même temps un avant-goût de ce qui sort de la plume de Bayle.

On regrette bien sûr que les notes soient renvoyées en fin de livre : soit elles passent par perte et profit, soit cela interrompt sans cesse la lecture. Le dictionnaire de Bayle aurait perdu toute signification si les notes avaient été reportées en fin de volume ; c’est dans une moindre mesure le cas de tous les livres. En revanche, un index, des tableaux généalogiques, une bibliographie complètent utilement le volume et permettent d’aller plus loin dans la découverte de ce phare de la civilisation occidentale.

Alors que les Lumières sont mises en valeur par une belle exposition de la Bibliothèque nationale de France, un retour sur Pierre Bayle qui, l’un des premiers en France, a exposé des idées qui seront amenées à faire florès, s’imposait. Le parcours de ce fils d’un petit pasteur des Pyrénées devenu l’un des plus grands philosophes de son temps attire par son caractère extraordinaire. Certains trouveront sa pensée «moderne» : elle est en tout cas d’une grande originalité et serait, aujourd’hui encore, utile pour penser certains problèmes de notre société. Les événements récents ont en tout cas montré que des idéologies tentent de se présenter comme naturelles voire incontournables : seule la mise en cause systématique de chaque idée et l’usage de l’esprit critique, que Bayle nous a légués, peuvent rendre à l’homme toute sa dignité et permettre la vie en société.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 05/05/2006 )
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