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Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

La Solitude de Montesquieu - Le chef-d'oeuvre introuvable du libéralisme
de Jean Goldzink
Fayard - Ouvertures 2011 /  24 €- 157.2  ffr. / 409 pages
ISBN : 978-2-213-65568-0
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

De la liberté politique

Montesquieu passe habituellement pour l’un des pères du libéralisme. Plaident en ce sens sa théorie de la distinction des pouvoirs ainsi que sa condamnation du despotisme. En effet, dans son ouvrage majeur, De l’esprit des lois, on peut lire qu’il «existe dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice» ainsi que «la puissance de juger», dont les rapports doivent être réglés par les facultés de statuer et d’empêcher, i.e. respectivement «le droit d’ordonner par soi-même ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre» et «le droit de rendre nulle une résolution prise par quelqu’un d’autre». Montesquieu précise plus avant qu’«il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». Plutôt que de «former un repos ou une inaction», autrement dit au lieu de se neutraliser, il faut que ces puissances soient organisées de façon à ce que «par le mouvement nécessaire des choses» elles soient contraintes «d’aller de concert». C’est de cette façon que peut être assurée la «liberté politique», que Montesquieu définissait comme «cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté».

Très célèbres, ces quelques aphorismes démontreraient l’étonnante modernité de la pensée politique de Montesquieu. Depuis deux siècles d’ailleurs, la cause parait entendue : le baron de la Brède est à l’origine du libéralisme politique. Pourtant, d’après Jean Goldzink, les choses sont plus complexes qu’il parait. Dans son dernier ouvrage La Solitude de Montesquieu – Le chef d’œuvre introuvable du libéralisme, le Professeur d’histoire des idées politiques procède à une relecture à tout le moins iconoclaste de De l’esprit des lois. Il s’échine à démontrer combien est discutable la vision traditionnelle de Montesquieu comme le théoricien du libéralisme, l’héritier de John Locke et du jus naturalisme, ou comme le chantre de la modernité post-révolutionnaire.

L'auteur désire contribuer à préciser la place de l’œuvre de Montesquieu «dans la pensée française des Lumières et celle du XIXe siècle jusqu’à Tocqueville», car la chose n’est pas «absolument claire» et n’a pas fait par ailleurs l’objet d’un traitement rigoureux. Pour accomplir sa vaste entreprise, J. Goldzink a suivi l’enseignement de grands maîtres de l’histoire des idées : «il ne faut pas sauter de sommet en sommet, les vallées ombreuses ont leur prix, les combes écartées leur mérite». L’auteur explique en outre que, pour mieux situer Montesquieu dans la tradition du droit naturel, il lui a semblé nécessaire de s’appesantir quelque peu sur Hobbes et Locke. Dépourvu de «toute ambition d’exhaustivité», J. Goldzink affirme avoir «tenté de réduire les notes et références, d’éliminer les débats entre commentateurs au profit du retour aux textes». Ce qui a conduit l’universitaire à «compenser l’érudition par la précision et la fidélité aux textes» (pp.13-15).

Au fil des pages, avec Montesquieu «comme guide de voyage», le Professeur Goldzink se penche notamment sur Hobbes, Bossuet, Rousseau, Voltaire, Constant, Guizot et Tocqueville. Conscient du «tracé discontinu» auquel il se livre, il conclut qu’il est impossible de «définir la philosophie politique des Lumières ou du siècle classique» et qu’il est nécessaire «de penser l’hétérogénéité des méthodes et des options» de ces penseurs. Si tous l’ont lu et le citent, beaucoup s’en démarquent. L’auteur précise qu’il «ne voit pas de véritable fécondité de sa méthode des rapports, de la distinction entre nature et principe de gouvernement, encore moins de la détermination par la structure physique du globe, presque unanimement écartée». Seule Madame de Staël aurait «tiré dès 1800 un usage fécond et novateur de la méthode de Montesquieu» (pp.395-403).

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 05/04/2011 )
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