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Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

La Liberté et le droit
de Bruno Leoni
Les Belles Lettres - Bibliothèque classique de la liberté 2006 /  21 €- 137.55  ffr. / 295 pages
ISBN : 2-251-39041-3
FORMAT : 14,0cm x 21,0cm

Préface de Carlo Lottieri.

Traduction de Charlotte Philippe.

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.


Plaidoyer pour la raison juridique

Les éditions Les Belles Lettres poursuivent, à travers leur collection «Bibliothèque classique de la liberté», leur très beau et très utile travail de débat sur le libéralisme. Superficiellement connu, malgré le succès de sa référence, le libéralisme est souvent réduit à quelques propositions simples et robustes : apologie de la logique du marché, rationalité des acteurs, supériorité de l'initiative individuelle sur l'action réglementée, limitation des compétences de l'Etat, etc. Si elle renvoie à une certaine réalité, cette perception ignore la richesse de certains débats "internes" à cette pensée, virulents parfois, et méconnaît de nombreux auteurs qui, pour être moins référencés, n'en ont pas moins élaboré utilement de nombreuses problématiques. Pour ne prendre qu'un exemple, l'utilisation outrancière des mathématiques dans les théories et politiques libérales a pu être vigoureusement critiquée par Ludwig von Mises (Abrégé de l'Action humaine, traité d'économie, Les belles lettres, 2005). C'est à ce type de méconnaissances que cette collection entend remédier.

Avec ce volume de Bruno Leoni, c'est la question du droit dans la pensée libérale qui est abordée. Fervent défenseur de la rule of law, Leoni insiste sur la distinction entre la législation et le droit. Regrettant en effet la tendance contemporaine à assimiler tout le droit à la législation, l'auteur s'attache à rappeler que dans ses modes d'élaboration la législation présente un risque : celui de contrarier la liberté individuelle. La valorisation de la législation sur le droit des juristes tient partiellement à une confusion. Traditionnellement, on accorde en effet une valeur au droit en tant qu'il est "certain". Mais deux conceptions de la certitude se sont opposées. L'une entend la certitude comme la précision de l'écriture de la règle : la loi écrite est supérieure car elle limite les différences possibles d'interprétation. L'autre entend la certitude comme la possibilité qu'elle donne aux individus d'élaborer des actions dans le long terme. Or, Leoni souligne et regrette que nos sociétés aient peu à peu considéré la loi comme l'expression de la volonté des hommes, de toutes leurs volontés : "la loi, c'est tout". Cette conception permet d'expliquer deux phénomènes : d'une part, l'affirmation du principe de la loi de la majorité – fût-elle coûteuse pour les minorités - ; d'autre part, l'inflation législative. Ces deux éléments se combinent pour créer un lieu d'incertitudes, totalement contraires aux besoins des individus, qu'ils soient entrepreneurs, propriétaires ou simples citoyens.

Aussi, Leoni affirme-t-il l'existence d'une raison juridique. "Les Romains comme les anglais partageaient l'idée que le droit est quelque chose qui se découvre et pas qui se décrète", affirme l'auteur à plusieurs reprises. Or cette découverte progressive du droit peut être envisagée par des procédures beaucoup plus souples que la législation, laquelle est toujours le résultat de jeux complexes entre des organisations qui, mécaniquement, s'éloignent des intérêts réels des particuliers. On trouvera des pages tout à fait intéressantes sur l'incapacité des groupes et représentations politiques à traduire réellement l'opinion, ne serait-ce que parce que, selon Leoni, "l'opinion publique n'existe pas" ! C'est en ce sens que, pour l'auteur, la législation peut être contraire à la liberté individuelle ; la liberté étant définie comme "l'absence de contrainte exercée par d'autres, y compris par les autorités, sur la vie privée et le commerce de chaque individu."

On l'aura compris, il y a là un plaidoyer pour la limitation de la législation, pour le respect des contrats et des décisions individuelles. Si les conclusions auxquelles l'auteur arrive ne surprendront pas le lecteur, libéral ou non, il reste qu'elles sont originalement argumentées. Ainsi, Leoni critique fermement les tendances de certains économistes à analyser le champ politique en terme de marché politique. Mais l'intérêt de cet ouvrage n'est pas seulement de proposer une version originale et peu connue de la pensée libérale. Leoni était un juriste qui a su dialoguer en permanence avec des auteurs d'autres disciplines. Sa proximité voire sa collaboration avec Ludwig von Mises ou Friedrich von Hayek en font une figure intéressante du dialogue méconnu encore aujourd'hui – malgré l'ouvrage fondamental de Michel Foucault, Naissance de la bio-politique (éditions Seuil-Gallimard) - entre le néo-libéralisme américain et la pensée européenne.

Guy Dreux
( Mis en ligne le 21/03/2006 )
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