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Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

La Tyrannie collectiviste
de Yves Guyot
Les Belles Lettres - Bibliothèque classique de la liberté 2005 /  23 €- 150.65  ffr. / 303 pages
ISBN : 2-251-39039-1
FORMAT : 13,5x21,5 cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Le socialisme en horreur

Yves Guyot (1843-1928) est une figure méconnue mais importante du courant libéral français. Ses activités sont nombreuses puisqu'il réussit à mener de front une carrière de journaliste et d'homme politique et, bien que non universitaire, occupe des fonctions importantes dans des institutions à caractère scientifique comme la Société de statistique de Paris.

Homme d'action, il est conseiller municipal de Paris de 1874 à 1885, député de 1885 à 1893, et occupe la fonction de ministre des Travaux publics de 1889 à 1892. Il publie par ailleurs de nombreux ouvrages à vocation savante, même si l'on compte quelques romans. C'est probablement cette double activité – d'homme d'action et de chercheur - qui a fait dire à Schumpeter dans son Histoire de l'analyse économique que pour un homme d'affaires ou un homme politique il vaut mieux s'adresser à Guyot plutôt qu'à Pareto.

Mais au milieu de ce foisonnement de travaux, il en est qui justifient plus particulièrement le présent ouvrage : ce sont ses écrits d'économie politique. La Tyrannie collectiviste rassemble des morceaux choisis de deux ouvrages : La Tyrannie socialiste (1893) et Les Principes de 1789 et le socialisme (1894).

Rédacteur en chef du Journal des économistes de 1909 à 1928, Guyot connaît amplement la science économique de son temps tout comme les enjeux politiques de celle-ci. A travers La Tyrannie collectiviste, il apparaît comme un infatigable batailleur, défenseur acharné du libéralisme politique (il comptera parmi les premiers défenseurs de Dreyfus) et économique. Son credo, à l'heure de la révolution marginaliste, est donc moins la formalisation de la théorie libérale que la dispute contre les socialistes sur les principes qui fondent ces deux courants de pensée. Un des axes essentiels de ses propos est de présenter le socialisme comme une pensée régressive, d'en dévoiler le "caractère rétrograde et tyrannique".

Ce qui selon lui justifie ces qualificatifs est de signaler que les ouvriers de l'industrie ne sont qu'une minorité de la population active. Or vouloir généraliser leurs intérêts c'est nécessairement ne pas tenir compte des intérêts de nombreuses autres catégories sociales. Plus généralement, une critique forte de Guyot est que le socialisme divise la société, oppose les catégories sociales les unes aux autres – catégories qui sont pour beaucoup mal définies -, et finalement trouble l'ordre social : "La politique socialiste est la guerre sociale" (p.252).

Le caractère rétrograde du socialisme tient principalement au fait que pour Guyot l'histoire est marquée par un mouvement de fond : la libération des individus, l'affaiblissement de l'emprise du groupe, des castes, sur les hommes. Or, selon lui, la politique socialiste subordonne toujours l'intérêt des individus à ceux des groupes. Voilà en quoi tient la régression. Conséquemment, les dirigeants socialistes ne peuvent être que des ignorants ou des cyniques. Et l'on ne compte pas les pages où Guyot les présente sous les traits les plus vulgaires et ridicules, violents à l'occasion. Sa description des Bourse du travail est à ce titre édifiante.

Réfutant, plus sérieusement, la loi d'airain des salaires, il considère que toute réglementation du travail ou des salaires est absolument contraire aux principes de 1789. Principes sur lesquels il revient en détail pour démontrer qu'ils ne sont pas des abstractions, mais "reposent sur des réalités objectives" (p.149). Dans des pages fort intéressantes et documentées, il expose tout ce qui, au XVIIIe siècle, venait contrarier la liberté du travail et du commerce. Corporations, maîtrises et jurandes sont autant de sources d'injustices, d'inégalités et des freins à la production et à la prospérité.

Guyot, qui se fait volontiers historien, semble moins à l'aise pour aborder les évolutions les plus contemporaines. Il ne semble pas comprendre que les revendications socialistes de son temps peuvent tout aussi bien s'inscrire dans l'héritage de la Révolution française. Il suffit pour s'en convaincre de lire quelques interventions de Jean Jaurès. De même, son absolutisation de la nature des droits l'empêche de penser qu'en matière économique et sociale les droits peuvent être élargis et concerner des aspects de plus en plus nombreux de la vie. Ainsi en absolutisant, par exemple, le principe de l'égalité, Guyot combat l'impôt progressif en considérant que seul l'impôt proportionnel est conforme aux principes politiques fondamentaux de la République. L'histoire, ici, ne lui a pas donné raison…

Guy Dreux
( Mis en ligne le 11/09/2005 )
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