L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

C'était François Mitterrand
de Jacques Attali
Le Livre de Poche 2007 /  7,50 €- 49.13  ffr. / 439 pages
ISBN : 978-2-253-11869-5
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en octobre 2005 (Fayard).

L'inépuisable sujet

On ne compte plus les ouvrages consacrés à François Mitterrand depuis plus de vingt ans. La permanence d'un esprit monarchiste et le goût pour les grands hommes n'épuisent pas l'explication de cette fascination. Deux éléments sont plus sobrement avancés : la fonction et l'homme. La lettre de la Constitution accorde des pouvoirs importants au Président de la République. De fait, la personnalité de l'élu a toujours une influence ; de nombreuses décisions sont et restent des décisions personnelles du chef de l'Etat. Mitterrand a établi un record de longévité à l'Elysée (quatorze années) et les deux périodes de cohabitation n'ont fait que repréciser les contours spécifiques des compétences présidentielles.

De l'homme, on a à peu près tout dit. Il aurait été secret, machiavélien, romanesque, fin tacticien, visionnaire, gaffeur, autoritaire… On a suffisamment souligné le soin avec lequel Mitterrand avait tiré parti d'une constitution qu'il avait tant critiquée, pour qu'il soit ici utile de revenir sur l'image de monarque qu'il a pu laisser. Plus encore, il semble que, lentement, Mitterrand ait fait le choix d'assumer et d'exposer ses contradictions de sorte qu'aucun discours ne puisse se présenter comme définitif sur le sujet. Obsédé par l'histoire, par la mort aussi, cette attitude est une sorte de défi : rendre toute biographie nécessairement partielle en lui opposant le caractère inépuisable du sujet. Si comme le dit le philosophe "la mort transforme la vie en destin", rester vivant serait alors continuer à échapper à toute vérité ou jugement définitifs.

Le livre de Jacques Attali ne peut manquer de susciter l'intérêt. L'auteur compte parmi les plus connus des conseillers personnels. Son "alliance" avec François Mitterrand date d'avril 1974 (même si leur première rencontre est antérieure), peu après la mort du Président Pompidou. François Mitterrand décide alors de lui confier la direction de son état-major de campagne. "Je ne devinais pas qu'à compter de cette minute, et pendant dix-sept ans, il n'allait quasiment plus se passer un seul jour, samedi et dimanche compris, sans que nous nous voyions ou à tout le moins nous nous parlions, et ce en général quatre ou cinq fois dans la même journée."

L'ouvrage porte essentiellement sur la période élyséenne même si un chapitre est consacré à la conquête du pouvoir, entre 1974 et 1981. Tout en évoquant quelques anecdotes, l'auteur ne fait pas véritablement de révélations. On lira toutefois avec intérêt les pages consacrées à l'affaire du renvoi en Iran du terroriste Gordji, qui opposa Mitterrand à Chirac et qui valut à ce dernier d'entendre en plein débat présidentiel télévisé le Président en exercice contester sa version des faits : "Dans les yeux, je la conteste". Pour l'auteur, le principal mérite de la présidence de Mitterrand est d'avoir fait de l'exercice du pouvoir par la gauche un fait normal d'alternance de notre démocratie. Contrairement aux gouvernements Blum et Mendès France, Mitterrand a su inscrire la gauche au pouvoir dans la durée. C'est là semble-t-il pour Attali, un héritage capital.

Un temps justement qui a été l'objet de nombreux débats. Cette durée n'a-t-elle pas été à l'origine de toutes les compromissions, de tous les reniements et de toutes les dérives ? Sur ce point l'auteur est catégorique : il est faux, selon lui, de dire qu'il y a eu un tournant dans la politique de la gauche en 1983, comme il est faut de croire que Mitterrand avait renoncé à transformer la société, tout comme, enfin, il est faux de penser que le palais de l'Elysée était devenu une cour avec ses dérives et ses turpitudes. C'est là à l'évidence les limites du propos d'Attali. S'il éclaire assez bien les relations que Mitterrand avait avec l'Allemagne ou Israël, on voit lentement disparaître les préoccupations de politique intérieure et les débats qui animent la gauche de l'époque. De l'aveu même de l'auteur, Mitterrand s'est largement désintéressé de ces questions notamment durant son second septennat. "En politique intérieure, son action s'était arrêtée en juillet 1984, avec le départ de Pierre Mauroy. En politique étrangère, elle s'arrêta le 20 septembre 1992, quand le "oui" [au référendum sur Maastricht] l'emporta avec 51,05 % des voix." Il serait évidemment absurde de penser que Mitterrand ne comptait plus, mais il n'initiait plus grand-chose.

Comment expliquer le désintérêt ou le cynisme d'un homme politique qui a passé sa vie à vouloir conquérir le pouvoir ? Attali avance une piste. Après une visite à l'hôpital Cochin en juillet 1994, il dit trouver Mitterrand détendu et serein, et précise : "En sortant de sa chambre ce jour-là, confronté à une nuée de caméras, je compris que la maladie, qui ne l'avait sans doute jamais quitté [depuis 1981], permettait de relire tout autrement la totalité de son action."

C'est finalement un Jacques Attali réconcilié avec son sujet (après avoir été heurté par les révélations de Pierre Péan sur le passé vichyste de Mitterrand - Cf. Une jeunesse française, Fayard, 1994) qui nous livre ici son témoignage. Une présidence observée depuis le bureau d'à côté… On regrettera que ce témoignage laisse toute sa part d'ombre à une présidence abondamment commentée et pas toujours pour les meilleures raisons. Sur l'affaire des irlandais de Vincennes ou celle des écoutes téléphoniques, puisque rien ou quasiment rien n'est dit ici, le lecteur se reportera plus sûrement sur La Part d'ombre de Edwy Plenel (Folio, 1994).

Guy Dreux
( Mis en ligne le 25/01/2008 )
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