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Les Contre-réactionnaires - Le progressisme entre illusion et imposture
de Pierre-André Taguieff
Denoël - Médiations 2007 /  28 €- 183.4  ffr. / 620 pages
ISBN : 978-2-207-25321-2
FORMAT : 15,0cm x 23,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Voyage en Progressisme

Directeur de recherche au CNRS (CEVIPOF), enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, Pierre-André Taguieff est philosophe, politologue et historien des idées. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont La Force du préjugé, Le Sens du progrès, Prêcheurs de haine, L'Illusion populiste, La Foire aux illuminés... Ses livres ont souvent fait l’objet de controverses car il est le défenseur d’une démarche critique qui a tendance à creuser là où ça fait mal. Authentique intellectuel, Pierre-André Taguieff argumente et appuie ses critiques par des démonstrations et des faits solidement étayés, excluant les insultes ou les propos moralistes.

Les Contre-réactionnaires est une somme sur l'idéologie du progrès. Voulant démystifier et mettre à plat les mécanismes de l'imposture progressiste, l'auteur se situe ainsi dans le droite ligne de Raymond Aron, François Furet, George Orwell ou encore André Gide (Retour de l'URSS, 1936). Le livre est dédié à Philippe Muray, Cornélius Castoriadis, Jean-François Revel et Robert Redeker.

L'ouvrage critique l'idéologie progressiste-antifasciste et son moralisme parfois sectaire, manichéen et aveugle. D'où le titre : "J'appelle contre-réactionnaires ceux qui recourent au progressisme pour mettre en accusation leurs rivaux, leurs adversaires ou leurs ennemis, en vue de les disqualifier totalement, en commençant par les exclure de l'espace des débats légitimes." (p.11) L'auteur revient sur certains épisodes récents comme l'affaire Finkielkraut (voir son entretien au journal Haaretz, celle des «nouveaux réactionnaires» (qui a vu certains intellectuels français pris à parti, dont l'auteur même), le déchaînement contre Nicolas Sarkozy ou encore l'affaire Pétré-Grenouilleau, historien qui fut attaqué pour son livre Les Traites négrières. L'essai démonte ces lynchages médiatiques et autopsie historiquement l’idéologie antifasciste en montrant comment, dans les années trente, elle a été orchestrée par le communisme soviétique et ses réseaux.

Si l'antifascisme était plus concret (le fascisme existait bien à cette époque), il servait aussi à masquer la réalité du communisme soviétique. Ensuite, il a fait croire à une sempiternelle résurgence du fascisme qui, dès lors, a fonctionné comme leurre. C'est-à-dire un fascisme sans objet, ombre d'un phénomène disparu pourtant combattu par plusieurs générations de néo-antifascistes. En France, selon plusieurs historiens, il n'y a eu qu'un seul parti fasciste, celui du Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, homme qui venait du PC. Le FN, par exemple, n'a rien de fasciste mais est un mouvement national-populiste autoritaire. L«antifascisme» est donc devenu, au-delà du communisme, une culture politique «de gauche», susceptible d'être réinstrumentalisée dans divers contextes.

Le livre accumule tellement de faits concrets et de textes qu’il sera difficile de le prendre en défaut. Il montre que l'instrumentalisation politique de l'antiracisme lié au progressisme ne sert plus à lutter contre les discriminations réelles, mais à régler des comptes, à disqualifier des adversaires et à préparer des carrières politiques ou médiatiques. Cette idéologie a besoin de boucs émissaires, de nouveaux ennemis (le conservateur, le réactionnaire, le fasciste, le raciste). Une nouvelle démonologie résiduelle d'une époque désertée par le sacré. Il y a à travers cela un renouveau de la délation sélective, des campagnes de diffamation, des chasses aux sorcières, au nom des bonnes causes, fournissant des illusions consolatrices et des fictions mobilisatrices à des militants mus par le désir de nourrir leurs fantasmes. S'il y a des racistes, des islamophobes et des homophobes, il y a aussi des accusations abusives de racisme, d'islamophobie et d'homophobie. Cette disqualification d'office de l'adversaire par la condamnation morale et la dénonciation édifiante est la méthode de guerre politico-culturelle héritée des totalitarismes et provenant de l’esprit robespierriste qui a inventé la notion d'"ennemi du peuple", avec la dénonciation de complots contre le parti du Bien, du Progrès, de la Raison, des Lumières ou de la Révolution.

Pierre-André Taguieff analyse la notion de fascisme et comment celle-ci a servi de bouclier moralisateur pour combattre tout ceux qui n'allaient pas dans le bon sens, celui du «progrès», fonctionnant comme une nouvelle religion du salut ("La religion du progrès"). Par «progressisme», l'auteur désigne tout ce qui se dit et se fait au nom du Progrès sans qu'en résultent des progrès observables. Il désigne une configuration idéologique qui se fonde sur la conviction que l'humanité obéit, dans son processus historique, à une loi qui la porte à un but supérieur. Il analyse historiquement les termes de progressisme et de fascisme ainsi que leurs satellites. C'est au cours du XIXe siècle, celui de la révolution industrielle, que l'idée de progrès a donné naissance à l'idéologie progressiste. Cette conception évolutionniste du progrès (transformation du moins bien vers le mieux) est érigée en loi de la nature et de l'Histoire. Saisi par l'arrogance scientiste, le progressisme rompt avec l'esprit des Lumières et refabrique un caractère mythique et néoreligieux. Avec le cataclysme de la guerre de 14-18, le progrès devient, sous les marxistes, un "sens de l'histoire" qui ne peut qu'apporter le Bien ultime. Dans cette optique, est «réactionnaire» celui qui ne suit pas le mouvement ou qui se rebelle contre ce dernier. Tout ce qui n'est pas progressiste est «réactionnaire». Ce qui n'est jamais interrogé, c'est de savoir si le mot progrès va toujours dans le bon sens. Il faut déjà admettre non seulement qu'il y a un progrès, mais qu'il n'y a que le progrès, impliquant que penser à un retour, c'est penser à quelque chose de pire. Or, retour en arrière n’est pas régression...

En passant, l’auteur dresse le portrait d'une Gauche française persuadée de sa pureté, auréolée du Bien et diabolisant ses interlocuteurs comme des adversaires à «abattre», sous des slogans pratiques comme «l'impérialisme américain», «Le sionisme», tout en oubliant de critiquer l’islamisme radical ou le terrorisme palestinien (l'antifascisme sans l'antitotalitarisme est dangereux). La "Gauche" tente de camoufler son ralliement à l'économie de marché en prônant une "ouverture à l'autre" tous azimuts (un "autrisme") qui ne peut que la favoriser. Pour la gauche, tout «intellectuel» suspecté de «glisser vers la droite» ou d'avoir des «idées de droite», voire d'éprouver de la sympathie pour telle personnalité de droite, peut faire figure de «nouveau réac». Donc de «facho». La critique virulente est salvatrice et devrait obliger la gauche à réviser son discours. Sauf que depuis Albert Camus, elle ne cesse de réactiver cette «culture antifasciste»… ce qui a permis de classer l'extrême-droite comme immonde et de sauvegarder le communisme et l'extrême-gauche comme moralement acceptables.

Citons l'auteur pour bien faire voir ce qu'il entend en général : «Ce nouvel ordre «moral», pour l'essentiel, tient ses thèmes du gauchisme culturel, largement repris par la gauche intellectuelle, et respectabilisé par la presse bien-pensante : jeunisme sectaire, utopie de la fête perpétuelle, éloge de la culture de masse et rejet corrélatif de la culture «élitiste», relativisme culturel radical (toutes les «cultures» se valent), parti pris abbépierriste en faveur des «pauvres», des «exclus», des «sans-papiers» (expression «politiquement correcte» pour désigner les immigrés irréguliers) et des «immigrés» (ou des «indigènes de la République»), assimilation de l'action contre la délinquance à une «guerre contre les pauvres», israélophobie (avec son envers : l'arabophilie et l'islamophilie), extension indéfinie de la vulgate «antiraciste» à la défense de victimes imaginaires (jusqu'à inclure les prostituées), radicalisation du principe de tolérance (l'injonction de tout tolérer pour attester qu'on est «ouvert»), mépris pour tout ce qui ressemble à un «peuple» ou à une «nation» (d'où la dénonciation de toutes les «frontières»), criminalisation de l'Occident et en particulier de la France (colonialiste, raciste, impérialiste, etc.), complaisance à l'égard du terrorisme (à condition qu'il soit d'extrême gauche ou d'obédience islamiste) et de certains régimes despotiques (non occidentaux et anti-occidentaux), etc.» (p.67)

Le livre montre aussi, historiens à l'appui, comment le fascisme n'est pas une notion réactionnaire mais «progressiste» justement, et même révolutionnaire (les réactionnaires sont par définition contre-révolutionnaires, notion née à l'époque de la Révolution française). Par exemple, si le nazisme est tourné vers le passé et la tradition, le fascisme est tourné vers l'avenir et a une visée totalitaire inséparable de l'idéologie du progrès. Le fascisme ne veut pas un retour en arrière, s'inspire de la culture jacobine de la régénération de la société et de la création de l'homme nouveau. Les courants dominants du racialisme moderne ont été portés par le système des croyances progressistes. Méticuleusement, l'auteur analyse aussi les courants comme le traditionalisme, le bonapartisme, le nationalisme ethno-racialiste, le néofascisme, le néonazisme, la mouvance «révolutionnaire-conservatrice», les courants de la droite "néoconservatrice" (néoconservatisme religieux) qui n'ont pas grand chose à voir avec le fascisme stricto sensu. Que de précisions et de nuances dans cette archéologie du politique !

L'auteur critique plusieurs notions comme le déclin et la décadence, trop vite classées comme réactionnaires. La révolte, la rébellion, la désobéissance (civile), l'insoumission, la résistance sont passées en revue, valeurs-refuges pour ceux qui ne craignent rien tout en prétendant lutter contre un ennemi inexistant. Il poursuit avec "l'immigrationnisme", acceptation sans discussion de l'immigration conçue comme un bien absolu sans l'examen rigoureux de sa réalité et de ses conséquences, et sans que l'on relève l'incompatibilité entre l'existence d'états-nations et le principe de l'entrée libre de tous les migrants dans ces mêmes états. Il s'en prend au pacifisme neutraliste de certains intellectuels européens devant 300 millions d'Arabes privés des libertés élémentaires alors que la moindre parole de tel dirigeant de droite est montré du doigt. Les droits de l'homme ne doivent-ils s'appliquer qu'aux populations musulmanes à l'intérieur des frontières de l'Europe ? Pour Taguieff, l'antifascisme sert trop souvent à voiler le totalitarisme islamiste ou la dure réalité des régimes despotiques de l'Afrique subsaharienne ou du monde arabo-musulman. Il finit le livre en critiquant le démocratisme, tyrannie d'un système d'opinions qui fait basculer l'exigence démocratique en esprit totalitaire. Satisfait d'être ce qu'il est, le progressiste-antifasciste incarne sans le savoir le conformisme idéologique même. Un bon test est de choisir un sujet polémique et de voir en combien de temps vous serez recouvert d'attaques personnelles, traité de réactionnaire, de fasciste sans l'ombre d'un argument. Et le progressiste est tellement convaincu de son bon droit qu'il ne se rend plus compte que par ses insultes il ruine l'idée même de démocratie, liée au dialogue, à l'argumentation, à la pensée critique. Ce que fait précisément Pierre-André Taguieff.

Les Contre-réactionnaires est un ouvrage courageux, inépuisable, indispensable par la qualité des sources et des arguments qu’il propose. Certes, le livre est long mais la démocratie ne se négocie pas et se mesure aussi à l’esprit critique qu’elle suscite et tolère. Rappelons que : "C'est toujours au nom du Progrès qu'est justifiée la terreur dans le monde moderne." (p.13)

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 08/10/2007 )
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