L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Le Mythe gastronomique français
de Alain Drouard
CNRS éditions 2010 /  17 €- 111.35  ffr. / 155 pages
ISBN : 978-2-271-06627-5
FORMAT : 17cm x 15,5cm

Splendeurs et misères de la cuisine française

Alain Drouard, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’histoire et de la sociologie de l’alimentation à l’époque contemporaine, publie son second ouvrage sur la cuisine française. Après s’être intéressé à l’histoire des cuisiniers de France, il s’attaque aujourd’hui au mythe de la gastronomie française.

D’emblée, la problématique est posée et bien posée : «Il existe un mythe gastronomique français. On entend ici par mythe un récit imaginaire forgé à partir d’un ensemble de croyances et de représentations collectives sur la cuisine française, son excellence et sa prééminence séculaire par rapport aux autres cuisines nationales. Ce mythe est né après la révolution française avec la mise en place de ce que l’on peut appeler le «système de la cuisine française, c’est-à-dire un ensemble de relations de dépendance entre trois acteurs principaux : les critiques gastronomiques, les cuisiniers et les amateurs de bonne chère».

L’ouvrage sera donc un récit des relations qu’ont entretenues au fil des deux derniers siècles les gastronomes, seuls comme Monselet ou en corporation comme Curnonski et son Académie des gastronomes, les critiques depuis La Reynière et Brillat-Savarin jusqu’aux tenants de la cuisine moléculaire ou du Slow food, avec les cuisiniers qui n’hésitent pas à s’exprimer la plume à la main comme Carême, Escoffier, puis Point, Bocuse, et bien d’autres. On voit donc que le matériau essentiel de l’auteur sera constitué de textes, le ''festin en paroles'' dont parlait si bien Jean-François Revel.

L’ouvrage déroule donc les auteurs, les théories, en les agrémentant d’illustrations en noir et blanc et de citations choisies. Le texte est en effet truffé d’encarts d’auteurs divers, y compris de poètes oubliés aujourd’hui mais que la table a inspirés. Qui se souvient de Berchoux, le premier pourtant à avoir intitulé son recueil de poèmes d’un terme nouveau, La Gastronomie ? Qui connait encore Désaugiers, le chansonnier du Caveau, célèbre société chantante de la Restauration ? Ou encore Achille Ozanne ou Alphonse Salin ? Que l’on se rassure, car de grands noms figurent aussi, sous forme de recettes, Alexandre Dumas père, il est vrai, auteur d’un renommé Grand dictionnaire de cuisine, son fils avec ses grives à la polonaise, ou encore Edmond Rostand avec son personnage du pâtissier Ragueneau qui nous livre le secret de ses tartelettes amandines.

La partie consacrée au XIXe siècle reprend surtout les grands auteurs en une bonne synthèse. On y voit défiler les pères fondateurs du mythe. Grimod de la Reynière et son Almanach des gourmands, première tentative de critique des gastronomes comme des fournisseurs, davantage que des cuisiniers. Brillat-Savarin et sa Physiologie du goût, ouvrage plus cité que lu. Puis les législateurs de la haute cuisine, Carême et sa cuisine «rationnelle», et Escoffier, «le roi des cuisiniers et le cuisinier des rois». Le XXe siècle est celui des clubs, des académies, des critiques… et du guide Michelin et ses étoiles, dont, curieusement, l’auteur ne dit mot bien qu’il ait sans nul doute orienté le goût des Français. Mais le siècle écoulé est aussi celui de grands chefs, et pour la première fois de femmes avec la Mère Brazier, honorée d’une photographie, comme Fernand Point, Bocuse ou Hermé. Le siècle se clôt sur la «Nouvelle cuisine», bien analysée dans ses origines, ses tendances et ses excès, et notre siècle s’ouvre sur la cuisine moléculaire, où la physique et la chimie renouvellent les instruments et les méthodes séculaires des cuisiniers. Un développement est consacré à la Slow food, mouvement d’origine italienne, comme son nom ne l’indique pas, et qui transporte dans le champ de l’alimentation les préoccupations écologiques, dont on ne voit pas qu’il ait influé sur les Français et dont on sent qu’il appelle des réserves de l’auteur. De manière plus intéressante encore, l’auteur ne s’interdira pas, pour la période contemporaine, de confronter le discours aux pratiques, celles des chefs, mais aussi celles des Français.

Dans un chapitre conclusif intitulé «Où en est-on ?», l’auteur constate en liminaire que tel le phénix, le mythe de la supériorité de la cuisine française a connu plusieurs déclins, suivis de résurrections, comme la dernière en date, la «Nouvelle cuisine» et sa médiatisation à outrance. Mais, nous avertit-il, un danger nouveau menace, l’industrialisation de la nourriture qui nous vaut des produits qui n’ont plus aucun rapport avec la gastronomie, fût-elle paysanne ou populaire. L’espoir ultime serait alors, selon lui, dans la réaction du consommateur conscient et organisé qui réclamerait de bons produits, bio ou pas, et qui, surtout, pratiquerait l’art de la cuisine («la cuisine s’apprend en regardant faire et en faisant») et celui de «parler et d’échanger autour de la table». Sa dernière phrase est un appel à tous et à chacun : «L’objectif est clair : il ne s’agit pas plus de revenir en arrière à je ne sais quel âge d’or de la grande cuisine bourgeoise que de se lancer dans la cuisine moléculaire. Il nous faut réinventer une gastronomie pour notre temps et pour tous».

On peut toutefois regretter quelques faiblesses qui étonnent, s’agissant d’un ouvrage publié sous le pavillon du CNRS. Une relecture de la liste des illustrations et crédits photographiques aurait sans doute permis d’éviter de citer Fernand Point et son restaurant «du Pyramide» ou d’attribuer à Balzac un ouvrage inconnu de tous les balzaciens et pour cause : les Trois cent soixante cinq menus, Bureaux de La Liberté, 1867 est en réalité l’œuvre du baron Brisse, ses chroniques journalières dans le journal éponyme ayant été rassemblées à cette date en volume promis à un succès durable. De même, la bibliographie aurait gagné à indiquer systématiquement la date de parution d’un ouvrage et non celle d’une édition très postérieure (Balzac, La Rabouilleuse, par exemple, mise sous l’année 1962), et à reprendre tous les ouvrages cités dans le texte (Balzac encore, Le Cabinet des antiques, cité p.33 et ne figurant pas dans la bibliographie), ceci d’autant que l’ouvrage ne comporte pas de notes. Il aurait été également fort utile, pour les best-sellers de la gastronomie, de donner une idée du nombre d’éditions et de la période de leur succès. Enfin, on pourra s’étonner de l’absence d’index, qui aurait été le bienvenu pour un texte riche en noms propres, tant de cuisiniers, d’auteurs gastronomiques que de maisons réputées.

En conclusion, un ouvrage à lire comme introduction au sujet, surtout pour la période la plus récente, mais qui gagnerait à être plus développé et plus rigoureux.

Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 19/07/2010 )
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