L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Masculin-féminin
de collectif
La Découverte - Les Mots du monde 2004 /  12.50 €- 81.88  ffr. / 154 pages
ISBN : 2-7071-4052-X
FORMAT : 13x19 cm

L'auteur du compte rendu: titulaire d’une maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère d’Orientation-Psychologue de l’Education Nationale.

Dialogue entre les cultures

Les éditions de La Découverte participent depuis peu à un projet éditorial international qui consiste à recueillir dans un même ouvrage des contributions de chercheurs (juristes, philosophes, anthropologues…) issus de différents pays, portant sur un concept considéré comme universel et intemporel, afin de confronter des représentations culturelles variées. Les textes réunis sont traduits et publiés dans toutes les langues des pays participants, en l’occurrence en chinois, arabe, français, indien et anglais. Baptisée «Les Mots du Monde», cette collection a déjà donné le jour à deux titres : L’Expérience et L’Identité ; deux autres sont attendus : La Nature et La Vérité. Masculin/Féminin, qui traite notamment du concept de genre, rassemble des articles de l’américaine Drucilla Cornell, de la tunisienne Raja Ben Slama, de la française Geneviève Fraisse, de l’indienne Seemanthini Niranjana, de la sud-africaine Linda Walham et de la chinoise Liu Xiao-Jian.

Le concept de genre, qui a pris toute son ampleur en Occident il y a trente ans, est très utilisé et tout autant critiqué au sein du mouvement féministe et en-dehors de ce mouvement. Drucilla Cornell retrace l’histoire du genre aux Etats-Unis. Après l’obtention de droits civiques, la deuxième vague féministe des années soixante et soixante-dix a refusé de faire appel, même positivement, à la biologie, pour réclamer une amélioration des conditions de vie des femmes. Ce recours à la nature avait effectivement pu servir la cause des femmes : celles-ci, naturellement mères, donc altruistes, douces et dévouées, étaient supposées meilleures que les hommes. C’est pour cette raison qu’elles devaient participer davantage à la vie de la cité, qu’elles contribueraient à moraliser. Les féministes des années 70 ont au contraire souligné le caractère socialement construit des différences sexuées. Battant en brèche le bon vieux précepte «l’anatomie, c’est le destin», elles ont fait appel au concept de «rôle sexuel» provenant des sciences sociales, selon lesquelles nous nous apparentons à des «acteurs» jouant des «rôles». Dans cette conception, la supériorité morale de la gent féminine mentionnée plus haut participe d’un rôle exigé dans le cadre d’une division du travail entre femmes et hommes, ceux-ci devant s’imposer hors du foyer dans un travail rémunéré (ce qui demande de l’assurance voire de l’agressivité, qualités viriles incontestables !…) tandis que celles-là sont censées assurer le quotidien du ménage et les soins aux enfants (d’où l’altruisme, la douceur et le dévouement).

Mais les femmes noires ne se sont pas senties représentées par ce féminisme «blanc», de classe moyenne, qui parle des femmes de façon globale sans admettre les lignes de fracture – classe sociale, race - qui parcourent cette catégorie. Dans le même mouvement critique, Judith Butler, dont le très attendu Gender Trouble devrait enfin paraître en français cette année, refuse de couper le genre des catégorisations culturelles et politiques qui le créent et le perpétuent.
Le concept de genre ne convient pas non plus à la chinoise Liu Xiao-Jian, c’est le moins qu’on puisse dire. Développé dans le monde occidental, il pose problème dans la langue et la culture chinoise. Le genre grammatical n’existe pas dans cette langue : par exemple, «il» et «elle» ne sont pas différenciés. Pour exprimer la réciprocité, l’interdépendance et la définition mutuelle entre deux termes, les Chinois utilisent d’autres catégories que masculin-féminin, comme le Yin et le Yang. De plus, si le principe occidental selon lequel il faut assujettir la nature pour progresser permet d’en arriver à des conceptions telles que «le genre précède le sexe» (dixit la sociologue Christine Delphy), celles-ci ne peuvent trouver leur place en Orient, où il convient de «suivre la voie de la nature». Par ailleurs, dans l’histoire chinoise, le féminisme n’a pas été utilisé en faveur d’une émancipation sociale et politique des femmes mais pour la promotion du socialisme et du patriotisme : «homme et femme sont pareils», professa en effet Mao. Aujourd’hui, le féminisme ne peut être considéré comme une lutte contre la domination masculine car femmes et hommes de ce pays en voie de développement sont en butte aux mêmes difficultés : la mauvaise alimentation, le manque d’hygiène, le faible accès aux soins ou à l’éducation… Pour Liu Xiao-Jian, il est difficile de parler des conditions de vie spécifiques des femmes dans une situation aussi rude. Voire… N’y a-t-il pas de division sexuée du travail en Chine ? Les bébés victimes d’infanticide ne sont-ils pas… de sexe féminin ?

Mis à mal dans son pays d’origine, les Etats-Unis, et plus encore en Chine, le concept de genre est pourtant à l’honneur dans le texte de la tunisienne Raja Ben Slama. Texte réjouissant s’il en est, dans lequel elle met à mal l’anhistoricité des dogmes de la Charia à laquelle certains aimeraient nous faire croire. Si le voile est aujourd’hui fétichisé, et l’homosexualité illégale dans nombre de pays arabes, l’investigation historique met en évidence l’existence de vastes zones de tolérance aux débuts de l’islam. Le Coran affirme que seuls deux genres existent mais fait tout de même référence à des créatures ambiguës comme les eunuques et les éphèbes. Une tradition culturelle du «troisième genre» a effectivement eu cours dans le monde arabe. On y trouve même des célébrations de l’amour homosexuel. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que la morale sexuelle est devenue plus rigoureuse, jusqu’à la situation que nous connaissons actuellement.

Le dialogue entre cultures que nous propose la collection «Les Mots du Monde» frise donc parfois la cacophonie. Les articles composant cet ouvrage, hétérogènes, ne sont pas tous situés sur le même plan. Le lecteur risque d’en tirer une impression de dispersion. A chacun de piocher les textes qui entreront en résonance avec ses interrogations, quitte à laisser les autres de côté.

Mathilde Rembert
( Mis en ligne le 19/04/2004 )
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