L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Des formations pour quels emplois ?
de José Rose , Jean-François Giret , Alberto Lopez et Collectif
La Découverte - Recherches 2005 /  29 €- 189.95  ffr. / 384 pages
ISBN : 2-7071-4693-5
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Sur l'adéquation formation-emploi

Il y a près de vingt ans, Lucy Tanguy dirigeait un ouvrage à bien des égards novateur : L'Introuvable relation formation-emploi (La Documentation française, 1986). Elle y exposait les problèmes soulevés par une idée qui a pour elle un bon sens apparent, à savoir que pour tout emploi il est nécessaire de disposer d'une formation adéquate. Or la réalité passée et présente ne repose pas sur une adéquation aussi simple.

Cette question de l'adéquation formation-emploi présente un double intérêt. Du côté de la formation, où il s'agit de scruter l'avenir, d'élaborer des perspectives qui permettent d'anticiper au mieux les qualifications qui seront demandées sur le marché du travail de demain. Du côté des emplois, où il existe deux tentations : d'une part de maîtriser la formation, et notamment la formation professionnelle ; d'autre part, d'expliquer tout ou partie du chômage des jeunes par une inadéquation avec le profil des postes proposés.

Ce débat, déjà ancien, oppose pour partie les employeurs, souvent dubitatifs sur la capacité de l'Education nationale à comprendre les réalités du monde du travail et la vie des entreprises, et les enseignants qui se montrent souvent soucieux de ne pas limiter l'enseignement professionnel à la maîtrise de savoirs techniques. En témoigne l'ambition ancienne parmi les républicains de gauche d'un enseignement "méthodique et complet" qui prend donc en charge les dimensions de l'éducation du futur professionnel mais aussi du futur citoyen et de l'homme.

Un autre débat ancien, qui recoupe en partie le premier, porte sur l'alternative entre la spécialisation de l'enseignement et le maintien de son caractère généraliste. D'un côté la spécialisation est considérée comme un gage de professionnalisme susceptible de renforcer l'employabilité des diplômés, d'un autre côté le caractère généraliste de leur formation peut-être présenté comme un gage d'adaptabilité et de flexibilité.

L'ouvrage particulièrement riche n'exclut pas une perspective historique. Un premier article de Guy Brucy montre excellemment l'évolution des relations qualification-emploi depuis le début du XXe siècle en insistant sur les agents et les niveaux concernés (notamment à travers la question de l'adéquation des formations aux bassins d'emploi locaux ou la nationalisation des formations). L'élaboration des conventions collectives (à partir de 1936) et des grilles Parodi de 1946, tout comme les activités du Commissariat au Plan, marquent des étapes importantes de cette histoire. Peu à peu émerge l'idée d'une hiérarchie des diplômes plus ou moins calquée sur la hiérarchie de la division du travail. Cette ambition repose sur la croyance en un lien entre durée d'apprentissage et complexité des tâches que le système éducatif est censé construire.

Mais ces débats ne sont pas seulement techniques ou historiques ; ils renvoient à des enjeux réels très actuels. L'affirmation d'une réorientation générale de la formation vers la formation tout au long de la vie, la promotion de la notion de compétence et l'idée d'une compétence constatée et validée par les employeurs promue par le MEDEF, les phénomènes croissants de déclassements, entre autres choses, sont autant de sujets de controverses entre les partenaires sociaux.

L'intérêt et l'originalité de cet ouvrage, d'une grande rigueur, sont de reposer en grande partie sur des données empiriques à la fois les plus récentes et très importantes. Co-édité avec le Céreq (Centre d'études et de recherches sur les qualifications), l'ouvrage présente en effet de nombreux articles qui s'appuient sur des données issues de l'enquête Générations 98 qui regroupe un échantillon de 55 000 individus sur les 750 000 jeunes sortis du système scolaire en 1998. Cette enquête permet donc d'observer de façon précise les premières années d'insertion professionnelle de cette génération avec une grande représentativité.

Impossible ici de donner l'ensemble des résultats de cette enquête. Retenons, à titre d'exemples : une évaluation des déclassements selon les niveaux de qualification et les spécialisations de formation, l'évaluation de l'influence d'"attributs socio-économiques" (comme l'origine sociale ou nationale ou le sexe) sur l'emploi occupé, l'évaluation de la rentabilité ou non d'obtenir un emploi en concordance avec sa formation… Sur tous ces sujets et bien d'autres encore, les données sont extrêmement riches et nombreuses.

A l'évidence cet ouvrage est un outil important pour tous ceux qui entendent comprendre les liens et les enjeux de cette "introuvable" adéquation entre formation et emploi.

Guy Dreux
( Mis en ligne le 12/01/2006 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)