L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

L'Apartheid scolaire - Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges
de Georges Felouzis , Françoise Liot et Joëlle Perroton
Seuil 2005 /  19 €- 124.45  ffr. / 233 pages
ISBN : 2-02-078948-5
FORMAT : 15,0cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Sur l'ethnicisation scolaire

En France, les études concernant les appartenances et origines ethnico-religieuses de la population ou d'une partie de la population sont excessivement rares. On se souvient de la polémique qui eut lieu lors du dernier recensement officiel : certains désiraient enregistrer des informations concernant les origines des individus, d'autres s'y opposaient farouchement, invoquant pêle-mêle la laïcité et l'histoire (le fichier juif de Vichy a même pu être évoqué). Cette situation relève d'une histoire politico-administrative particulière, où il faut admettre que la défense du républicanisme et de la citoyenneté abstraite ne facilite pas toujours la description de certaines réalités sociales.

Pourtant, il y a quelques mois, plusieurs ouvrages soulignaient la réalité de nouvelles fractures sociales (voir notamment l'Atlas des nouvelles fractures sociales en France de Christophe Guilluy et Christophe Noyé, éditions Autrement). Eric Maurin publiait un petit ouvrage qui connut un certain succès : Le Ghetto français (éditions du Seuil). Les dynamiques ségrégatives y étaient présentées comme déjà anciennes mais de plus en plus visibles. Il y faisait apparaître des mobilités géographiques importantes (10 % de la population française déménagent chaque année), très sélectives, qui insensiblement renforcent l'homogénéité sociale des territoires. S'il s'intéressait principalement aux catégories sociales, il soulignait aussi que, à travers certains indicateurs, la France pouvait paraître plus ségréguée que les Etats-Unis.

Il restait donc à étudier la dimension proprement ethnique de la ségrégation des territoires, plus mal connue encore, même si celle-ci semble de plus en plus manifeste. C'est donc un grand mérite pour les trois auteurs de cette étude sur L'Apartheid scolaire d'avoir réussi à surmonter les difficultés dues à l'absence de données officielles, et à établir des indicateurs fiables d'une réalité plus souvent perçue qu'étudiée. Privés de toute statistique officielle, les auteurs ont choisi d'évaluer la part respective des "autochtones" et des "allochtones" à partir des prénoms des enfants scolarisés. Le propos est alors assez clair : "il se crée en France de véritables ghettos scolaires, ces ghettos concentrent les élèves immigrés ou issus de l'immigration dans quelques établissements que chacun veut éviter pour ses propres enfants."

Leur étude se base sur l'académie de Bordeaux où 10 % des établissements accueillent 40 % des élèves immigrés ou issus de l'immigration. Ils développent alors une batterie d'indicateurs qui permettent de mettre en évidence la concentration des difficultés scolaires dans un nombre restreint d'établissements. Cette ségrégation semble avoir des effets différenciés en termes de performance scolaire et d'orientation. Si l'écart entre le contrôle continu et le brevet est plus important dans les collèges fortement ségrégués, les passages en seconde semblent se faire plus facilement ; ce qui ne constitue pas nécessairement une chance supplémentaire. Les auteurs se sont aussi attachés à comprendre les phénomènes qui expliquaient et renforçaient cet "apartheid scolaire". Stratégies d'évitement, effets de réputation des établissements, demandes de dérogation à la carte scolaire ou politiques d'établissements apparaissent comme autant d'éléments qui participent à construire ces logiques discriminatoires.

Cette étude pionnière sur ces réalités ségrégatives est d'autant plus importante qu'il semble que les dimensions socio-culturelles soient des facteurs ségrégatifs aussi forts, voire plus, que les dimensions économiques. Eric Maurin affirmait, en effet, que "les indicateurs de ségrégation sont plutôt plus élevés lorsqu'ils sont construits sur des critères culturels que sur des critères matériels" (Nouveaux Regards, n°28).

Guy Dreux
( Mis en ligne le 23/01/2006 )
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