L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

La Revanche scolaire - Des élèves multiredoublants, relégués, devenus superdiplômés
de Bertrand Bergier et Ginette Francequin
ERES - Sociologie clinique 2005 /  23 €- 150.65  ffr. / 287 pages
ISBN : 2-7492-0535-2
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu: titulaire d’une maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère d’Orientation-Psychologue de l’Education Nationale.

Fortunes et infortunes de l’élève scolarisé

«Tu n’arriveras jamais à rien dans la vie». Voilà ce que dit cette agricultrice à sa fille, élève médiocre, orientée en voie professionnelle après le collège. Loulou ira pourtant jusqu’au bac + 8. Sur le thème de l’échec scolaire, la littérature sociologique abonde. On en trouve aussi traitant des parcours de réussite. L’originalité de La Revanche scolaire est justement d’étudier l’articulation entre les deux dans le parcours d’une même personne. Comment Alex, après trois redoublements et un BEP agricole, devient-il vétérinaire ? Comment Mériem, redoublante elle aussi, après avoir sérieusement envisagé une orientation en coiffure, devient-elle cadre de la fonction publique ? Comment Jorge, titulaire d’un BEP de comptabilité, se retrouve-t-il en DESS de sciences de l’éducation ?

Avoir redoublé au moins deux fois avant le bac, ou avoir été orienté vers l’enseignement professionnel, et être parvenu à valider au moins un deuxième cycle de l’enseignement supérieur : telles étaient les conditions posées pour participer à l’enquête de Ginette Francequin et Bertrand Bergier, respectivement psychologue et sociologue, aidés dans leur travail par l’équipe du LAREF (laboratoire de recherches en éducation et formation) d’Angers et par des conseillers d’orientation en formation. A la lecture de leurs itinéraires personnels, on comprend leur intérêt pour les rescapés du système scolaire : elle, fille d’ouvrier, n’a soutenu sa thèse qu’à 50 ans ; lui, bien qu’issu d’un milieu aisé, est passé par une 6e de transition et a été exclu de son lycée en seconde ; c’est seulement à partir de la 1ère qu’il a commencé la course aux diplômes qui l’a mené à l’habilitation à diriger des recherches.

Les cheminements scolaires de 111 répondants ayant effectué des «parcours longs atypiques» (bac + 4 minimum, malgré plusieurs redoublements et/ou une orientation en voie professionnelle) ont été comparés, d’une part, avec ceux de 104 répondants aux «parcours longs classiques» (bac + 4 minimum, sans redoublement ni passage en voie professionnelle), et d’autre part, avec ceux de 107 répondants aux parcours courts (redoublements et/ou passage par la voie professionnelle sans poursuite d’études après le bac). L’importance numérique du matériel recueilli (par entretiens et questionnaires) s’explique par le souci des auteurs de ne pas tomber dans l’illusion du «parcours exemplaire exceptionnel»… donc inexplicable. Leur but est bien de dégager, au-delà de la singularité de ces histoires scolaires, des constantes.

Dans la première moitié de l’ouvrage, ils montrent que les parcours atypiques sont marqués par les variables sociologiques usuelles que sont le sexe, l’âge et le milieu social. Ainsi, les filles qui ont mis du temps à effectuer leurs études secondaires arrêtent plus tôt que les garçons dans le supérieur, tant semble peser sur elles la nécessité d’acquérir une indépendance économique rapide. On remarque aussi que la population atypique étudiée est caractérisée par la «jeunesse» en primaire : on y trouve beaucoup d’enfants nés en fin d’année civile ou ayant sauté une classe. Si l’on considère le milieu social, les élèves issus de milieux favorisés ont tendance à redoubler plus que ceux des milieux défavorisés, qui sont plus souvent orientés vers la voie professionnelle. Cependant, tous les élèves ayant effectué un parcours atypique auraient un point commun : un rapport positif à la lecture.

Le lecteur peu surpris de ces découvertes abordera avec intérêt la deuxième partie de l’ouvrage. Y sont exposés les mécanismes qui permettent aux élèves multiredoublants ou orientés en voie professionnelle de saisir la seconde chance qui les mènera vers les cursus longs du supérieur. Certains de ces élèves passent par des structures innovantes comme les maisons familiales et rurales ou les lycées expérimentaux. Ceux qui restent dans un lycée banal peuvent utiliser des classes passerelles, comme la première d’adaptation qui accueille des titulaires de BEP souhaitant aller vers le bac technologique. Des passages à risques sont aussi pratiqués, par exemple l’entrée à l’université avec un bac professionnel. Le bac lui-même peut, dans certains cas, être contourné grâce au diplôme d’accès aux études universitaires ou à la capacité en droit. Mais l’existence de ces possibilités objectives n’explique pas pourquoi certains élèves les utilisent et d’autres non.

Le discours privilégié d’explication de la réussite chez les enseignants, les parents et les élèves eux-mêmes, est celui de la vocation («elle a trouvé sa voie, donc elle travaille») ou bien celui des ressources affectives («il aime bien le prof, l’ambiance au lycée est bonne, donc il travaille»). Or ces explications sont contestées depuis des années par des chercheurs en psychologie. Les résultats de l’enquête de Francequin et Bergier corroborent cette remise en cause des croyances habituelles. De nos jours, on tient à ce que l’«intérêt» détermine l’orientation de l’élève et prédise sa réussite dans la voie choisie, comme si le concept d’intérêt était indiscutable en soi. L’intérêt est pourtant socialement construit. En caricaturant à peine, combien d’enseignants, de conseillers d’orientation, découvrent-ils chaque année que les filles de 3ème veulent devenir auxiliaires de puériculture ou institutrices, et les garçons, mécaniciens ou ingénieurs… selon leur milieu social d’origine bien entendu !

Si l'on laisse de côté l’explication par le sacro-saint «intérêt», comment donc éclairer le parcours des atypiques ? Le matériel recueilli par les auteurs montre la coexistence d’un «appui sur» et d’un «appui contre». Appui sur l’expérience de la «bonne note» : arrivé en BEP, un élève obtient de meilleurs résultats dans les matières générales, ce qui le pousse à s’y investir, davantage même que dans les matières professionnelles, d’où une entrée en première d’adaptation. D’une manière globale, la rupture avec le passé provoquée par un changement d’établissement ou par la passation d’un examen écrit anonyme est positive. Ensuite, la réussite appelle la réussite comme hier l’échec appelait l’échec. Les auteurs citent des établissements particuliers qui expérimentent une notation différente, libérée de la «constante macabre», pour une évaluation avant tout formative. Autre élément favorable à une sortie de la relégation pour les élèves atypiques, la confrontation culturelle. Être dans une classe de latinistes avec des enfants d’un milieu social plus aisé que le sien, changer d’environnement grâce à l’internat, fréquenter des étudiants lors du service militaire, permet à certains jeunes en difficulté d’espérer suivre des études eux aussi.

Mais l’«appui contre» joue aussi chez les élèves aux parcours longs atypiques. Tel élève réagit à un redoublement qui le fait se retrouver dans la même classe que sa petite sœur. Tel autre se rebelle contre la comparaison parentale avec un cousin qui, lui, réussit ses études. Face à l’adversité, les élèves atypiques ne se sont pas laissés submerger par un sentiment de honte mais plutôt par un sentiment d’injustice. Or l’injustice est une chose contre laquelle on peut se battre. En somme, une personne est dans des dispositions émancipatrices si elle se sent faiblement responsable de sa relégation mais fortement responsable de son devenir scolaire (et non le contraire).

Évidemment, la sortie de la relégation scolaire n’est pas due qu’à l’action de l’élève. Une complicité issue de l’intérieur du système (un enseignant qui défend un élève en conseil de classe, un conseiller d’orientation qui donne un «tuyau») peut marquer un itinéraire. Les auteurs n’omettent pas de mentionner par ailleurs le rôle du contexte économique : la crise se répercutant sur l’emploi des jeunes, notamment peu diplômés, pousse certains d’entre eux à poursuivre au-delà du BEP.

Parmi les «parcours longs atypiques», la situation des élèves multiredoublants est un peu différente de celle des titulaires d’un diplôme de la voie professionnelle. Chez ceux-là, la pression parentale contre la relégation en voie professionnelle joue. Elle est souvent le fait de parents de milieu aisé qui ont eux-mêmes fait de longues études, dans des familles où c’est la norme ; mais elle vient aussi parfois de parents migrants. La migration est en effet accompagnée d’une intention d’ascension sociale. Dans l’idéal, la réussite scolaire des enfants est censée venir conforter le bien-fondé de cette migration. Un redoublement de la 3ème par exemple sera donc préféré à une orientation en voie professionnelle.

Comment un élève multiredoublant, donc, parvient-il à poursuivre de longues études après le bac ? L’enquête montre que ces élèves sont aidés par leur travail de retour critique sur l’éducation qu’ils ont reçue. Par exemple, les élèves des lycées autogérés réfléchissent sur la norme dans laquelle ils n’arrivent justement pas à entrer. Finalement, ces élèves multiredoublants se comporteront comme des «héritiers» une fois qu’ils auront remis en question les valeurs véhiculées par leur milieu d’origine, souvent bourgeois. Tant bien que mal, ils finiront par faire les longues études… auxquelles leurs parents les avaient prédestinés !

En conclusion, les auteurs appellent de leurs vœux une promotion de la psychologie dans l’école. Les enseignants ne doivent pas être laissés seuls pour gérer les problèmes qu’ils rencontrent avec leurs élèves, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Le travail en équipe pluridisciplinaire (enseignants, conseiller d’orientation, assistante sociale, médecin scolaire…) doit être privilégié dans une école dont «le seul véritable objet valable (…) est le développement harmonieux de la pensée et de la condition humaine».

La collection "Sociologie Clinique", dirigée par Vincent de Gaulejac, se propose d’allier la sociologie et la psychologie dans des ouvrages accessibles aux non-spécialistes. Promesse tenue pour La Revanche scolaire, qui aidera certainement ses lecteurs professionnels de l’éducation à porter un regard positif sur les êtres en devenir que sont leurs élèves.

Mathilde Rembert
( Mis en ligne le 24/03/2006 )
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