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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Sauver Marx ? - Empire, multitude, travail immatériel
de Pierre Dardot , Christian Laval et Mouhoud El Mouhoub
La Découverte - Armillaire 2007 /  23 €- 150.65  ffr. / 258 pages
ISBN : 978-2-7071-5131-5
FORMAT : 14,0cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Le retour de la Question Marx

En 2000, les éditions Exils publiait Empire de Michael Hardt et Antonio Negri. Quatre ans plus tard, paraissait, aux éditions La Découverte, Multitude. Dans un contexte de contestation du capitalisme largement dominé par le discours alter-mondialiste, Michael Hardt et Antonio Negri renouvelaient singulièrement l'interprétation du capitalisme contemporain en annonçant, tout à la fois, une mutation fondamentale et une bonne nouvelle. La mutation tient dans le fait que le capitalisme s'est transformé en "Empire", c'est-à-dire comme un grand ordre social, sans frontières géographiques, son pouvoir ayant pour objet "la vie sociale dans son intégralité". La bonne nouvelle tient au fait que le pouvoir n'a plus de centre, que la multitude, le nouveau sujet politique de l'Empire, est "capable de construire de façon autonome un contre-Empire". Affirmant leur identité communiste, ces deux auteurs entendaient rénover profondément les catégories économiques et politiques à l'aide desquelles la lutte pour l'émancipation pouvait s'annoncer.

Malgré le vif succès de ces deux ouvrages dans de nombreux pays et l'importance des discussions initiées, leur accueil est resté très réservé en France et ne donna lieu à aucun grand débat sur le fond. Rompre avec ce silence "en discutant systématiquement le rapport de ces deux auteurs [Michael Hardt et Antonio Negri] à la pensée de Marx et à ses schèmes constitutifs", voilà toute l'ambition de Pierre Dardot, Christian Laval et Mouhoud El Mouhoub.

De quoi est-il question ? D'une question, justement. La "question Marx" disent ces trois auteurs. "La fin du capitalisme serait une nécessité inscrite dans son développement même. Ce que nous appelons la "question Marx", qui va bien au-delà du seul marxisme, est la mise en question de cette croyance". L'illusion du marxisme ne tiendrait pas tant dans l'affirmation qu'un autre monde est possible ou souhaitable ; elle tient dans l'affirmation que la fin du capitalisme est inévitable, nécessaire, comme contenue dans son propre développement et que cet autre monde ne peut qu'advenir, quand il n'est pas potentiellement déjà là. Or c'est cette illusion, cette croyance fondamentale, que Michael Hardt et Antonio Negri poursuivent, selon les trois auteurs, dans une analyse pourtant novatrice et percutante du capitalisme contemporain.

Michael Hardt et Antonio Negri développent en effet une vision de la société et de la population que l'on pourrait qualifier d'essentiellement "énergétique". Selon eux, si les capitalistes ont su, un temps, contrôler et concentrer cette énergie source de toutes richesses (dans l'usine notamment), dans le capitalisme contemporain, marqué par le développement de l'immatériel, il devient impossible de maîtriser les procès de création de la valeur. C'est en ce sens que ces auteurs définissent la multitude non pas comme une population produite par les conditions sociales et économiques du moment mais comme un sujet "ontologiquement autonome". On comprend au passage tout l'écart entre cette pensée et la pensée marxiste la plus orthodoxe qui repose sur la constitution du prolétariat (la classe ouvrière industrielle) à partir d'une organisation éclairée (le parti) qui entend justement conscientiser les masses.

Or c'est précisément ce dernier point, l'autonomie de la multitude, que les trois auteurs de Sauver Marx ? critiquent fondamentalement. "La thèse de l'autonomie ontologique de la multitude ne se soutient que d'une confusion entre l'"être" et l'"avoir à être". En vérité, l'autonomie n'est inscrite dans aucun être, […] elle ne relève pas d'un donné, elle n'est pas, elle a à être, elle est à constituer." Si d'un côté, Michael Hardt et Antonio Negri ont "confiance" dans les développements du capitalisme pour qu'advienne le communisme, ces trois auteurs réfutent l'hypothèse d'une sortie spontanée ou événementielle du capitalisme. Ils affirment tout au contraire que le communisme est à "instituer".

L'intérêt de l'ouvrage est double. Parce qu'ils sont respectivement philosophe, sociologue et économiste, Pierre Dardot, Christian Laval et Mouhoud El Mouhoub proposent, chacun, une lecture très serrée des thèses développées dans Empire. Par ailleurs, si leur lecture est critique, elle est toujours particulièrement érudite et respectueuse du dialogue entamé avec Michael Hardt et Antonio Negri. Car, ne nous y trompons pas, les auteurs de Empire comme ceux de Sauver Marx ? affirment communément la nécessité absolue et impérieuse de la critique du capitalisme contemporain. Critique dont semble malheureusement s’abstenir une grande partie de la gauche française…

Guy Dreux
( Mis en ligne le 20/04/2007 )
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