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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

La Distinction de sexe - Une nouvelle approche de l'égalité
de Irène Théry
Odile Jacob 2007 /  33 €- 216.15  ffr. / 676 pages
ISBN : 978-2-7381-0984-2
FORMAT : 14,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Pour une approche relationnelle du genre

Auteur du Démariage et du rapport Couple, filiation et parenté aujourd’hui, Irène Théry n’est pas seulement une spécialiste de la sociologie de la famille. Elle est une voix autorisée et d’autorité sur ces questions difficiles. Souvent consultée, elle intervient régulièrement sur des questions d’autant plus fondamentales que les formes du vivre ensemble connaissent des transformations très profondes. Parmi de nombreux débats sur lesquels elle a pu intervenir, la question de l’homoparentalité l’a souvent opposée, parfois assez rudement, avec des associations qui plaident pour la pleine reconnaissance juridique de ces nouvelles familles.

Avec La Distinction de sexe, Irène Théry signe très certainement son ouvrage le plus ambitieux. Il s’agit ici en effet pour elle de fonder anthropologiquement ses conceptions depuis longtemps et par ailleurs développées. Irène Théry ne va d’ailleurs pas à la facilité : Mauss, Lévi-Strauss sont, avec Evans-Pritchard ou Mary Douglas, convoqués et discutés de façon serrée. Une démarche qui, pour être on ne peut plus légitime, s’avère un peu décevante.

Le propos de Irène Théry part d’une première affirmation : bien que nous reconnaissions la dimension sociale du sexe (dans sa définition – les gender studies le démontrent suffisamment – comme dans ses attributions), nous persistons à faire du sexe une question à part et surtout une question identitaire. Rappeler qu’il peut exister quatre manières de définir l’individu – comme partenaire d’une vie sociale, comme membre de l’espèce humaine, comme mâle ou femelle d’une espèce naturelle ou encore comme membre du genre humain – permet à Irène Théry de proposer une approche relationnelle de la distinction de sexe dans laquelle les frontières identitaires ne se recoupent pas nécessairement, et surtout qui permet de sortir d’une conception de la société qui place toujours au centre et pour acquise la distinction masculin – féminin. Elle critique donc une perspective dualiste de l’identité : «Cette approche identitaire repose en réalité sur une philosophie dualiste de la personne composée d’un moi, doté d’une identité de genre, et d’un corps, doté d’une identité de sexe. Or ce dualisme ne tient pas debout car le moi, issu de la philosophie de Locke, n’est qu’une hypostase, une identité mythique.» Et l’auteur souligne que cette conception de la personne est «profondément antisociologique» et reste prisonnière d’un héritage philosophique qui contredit nos expériences les plus ordinaires. Elle regrette qu’à la manière de Courbet, les modernes ont toujours voulu voir dans le sexe ou la sexualité l’origine du monde social.

Irène Théry entend donc revisiter les conditions historiques et intellectuelles qui ont participé à ce qu’il faut appeler la distinction de sexe et insiste sur les modes différents d’expériences sociales qui posent et définissent différemment les identités, parfois sans prise en compte du sexe.

Tout son effort est de substituer une approche du genre à une autre : le genre comme identité des personnes et le genre comme modalité des relations. Très critique vis-à-vis de l’abandon de la notion d’institution et de l’idéologie de «l’émancipation du sujet» (philosophie dont elle signale les liens avec le libéralisme ambiant), Irène Théry est soucieuse de définir une parenté qui soit susceptible de relever de l’expérience de tous. Elle regrette le renversement de perspective actuel qui fait «procéder la parenté de la famille et non la famille de la parenté», et refuse «la logique identitariste de la partition de la population en groupes ontologiques définis par leur orientation sexuelle». Dans cette perspective, Irène Théry plaide pour une «identité narrative» et la réintroduction de «relations instituées de parenté» et entend définir un «système de parenté commun et pluraliste» : pluraliste, car chaque individu à son histoire et des parents qui ont eux-mêmes leur histoire singulière ; commun, en reconnaissant que nous sommes tous issus d’une condition biologique.

Et c’est bien entendu sur ce dernier point qu’une grande partie du débat est vif : quelle place accorder au biologique dans nos définitions de la parenté ? Bien loin de certaines formulations de Françoise Héritier par exemple, pour qui «rien n’est naturel dans l’organisation familiale», Irène Théry affirme le caractère évident de la nature biologique des êtres. Cette dimension est d’ailleurs présentée comme une expérience commune, quelle que soit la composition et la nature de notre famille et de nos liens ultérieurs, à partir de laquelle les modes d’organisation familiale doivent être pensés.

De fait, pour suivre certains développements (notamment sur la question du lien entre l’«émancipation du sujet» et des formes singulières du lien social) on ne peut que regretter avec cette dernière affirmation que la place du biologique ne soit pas plus argumentée et justifiée.

Guy Dreux
( Mis en ligne le 01/02/2008 )
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