L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

L’Histoire de France ne passera pas !
de Charles Personnaz et Emmanuel Pénicaut
Bourin Editeur 2014 /  14 €- 91.7  ffr. / 166 pages
ISBN : 979-10-252-0067-4
FORMAT : 13,0 cm × 20,0 cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013).

Requiem pour la ''MHF''

Le livre d’Emmanuel Pénicaut et Charles Personnaz constituera pour les historiens à venir de la politique et de la culture au commencement du XXIe siècle un document d’un intérêt exceptionnel : leur témoignage offre, vue de l’intérieur, l’histoire d’une institution culturelle avortée, la Maison de l’histoire de France, depuis les premières initiatives en vue de sa création, en 2007, jusqu’à sa suppression, à la fin de 2012. Les auteurs, partie prenante du projet dès l’origine, ont suivi l’entreprise dans toute sa durée. Deux ans après, ils nous livrent le dessous des cartes tout en prenant une certaine distance par rapport aux positions des partisans comme des adversaires de la «MHF».

La Maison de l’histoire de France, dont le souvenir est lié au mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, n’est pas dans son principe un projet présidentiel. L’idée en naquit au sein de l’administration, dans les organes du ministère de la Défense chargés du patrimoine et de l’histoire militaire : il s’agissait de doter la France d’un grand musée d’histoire à l’instar de celui qui venait de se créer en Allemagne, le Deutsches Historisches Museum. Dans l’esprit des initiateurs du projet, le Musée ou la Maison de l’histoire de France aurait pu naître d’une transformation des musées abrités par l’hôtel des Invalides, en particulier le musée de l’Armée.

Après son élection, Nicolas Sarkozy endossa le projet, dont la concrétisation se poursuivit tout au long de son mandat. Après maintes péripéties et polémiques, la Maison de l’histoire de France fut créée comme établissement public le 1er janvier 2012 et son installation décidée au palais Soubise, dont une partie des locaux devait être libérée par le départ des Archives nationales pour Pierrefitte-sur-Seine. Une exposition de préfiguration eut lieu au Grand Palais en janvier-février 2012. Mais Nicolas Sarkozy fut battu à l’élection présidentielle de mai 2012 et, après quelques mois d’hésitation, son successeur François Hollande prononça la dissolution de l’établissement.

Charles Personnaz et Emmanuel Pénicaut s’interrogent sur les raisons de l’échec de la Maison de l’histoire de France. La première est la détresse croissante des finances publiques. Le gouffre du déficit devenant chaque jour plus béant, l’heure n’est plus aux «grands projets présidentiels», ces «éléphants blancs» qui firent les beaux jours des règnes de François Mitterrand ou de Jacques Chirac. L’explication vaut pour la droite comme pour la gauche : à la différence de leurs devanciers, ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’auront pu construire de monument auquel leur nom resterait attaché. Le deuxième motif de l’échec, moins apparent, est d’ordre politique. Nicolas Sarkozy, qui est passé pour le promoteur du projet – au grand détriment de ce dernier dans l’opinion – ne l’a en fait jamais soutenu avec beaucoup d’énergie. Ce président que l’on présente volontiers comme volontariste, voire activiste, s’est montré en l’espèce étrangement réservé. L’hésitation présidentielle s’est communiquée à tout l’appareil d’État, conseillers de l’Élysée, ministres, directeurs d’administration centrale. Or, dans le régime semi-monarchique qu’est la Ve République, seule la volonté affirmée du maître peut vaincre l’inertie naturelle de l’administration. Sans elle, aucune novation ne peut s’imposer. Cinq ans durant, le projet se traîna de rapport en colloque, de comité de réflexion en conseil scientifique, si bien que le quinquennat sarkozyen se termina avant que rien de définitif n’eût été fondé.

Les auteurs ne poussent pas leur interrogation jusqu’à se demander à quoi tint la réserve inhabituelle du président. Risquons une explication : la droite, qui fait volontiers à la gauche un procès en légitimité, se trouve, dans l’ordre intellectuel, dans une situation inversée. La gauche, minoritaire dans l’opinion, reste majoritaire dans les cercles universitaires et intellectuels, et la droite souffre, sur ce terrain-là, d’un complexe d’illégitimité. Le coruscant Sarkozy n’a pas eu l’audace de trancher ce nœud gordien.

À coté des motifs économiques et politiques de l’infortune de la MHF, les auteurs en ajoutent d’autres, d’ordre culturel, les plus intéressants sans doute à examiner. En prétendant tenir un discours sur l’histoire de France, même le plus neutre possible, la Maison prenait de front les conceptions divergentes de cette histoire – presque aussi nombreuses qu’il y a de Français – et mettait en évidence la fragilité du consensus national. En choisissant d’intituler leur institution «Maison» plutôt que «Musée», ses promoteurs avaient visé très large. Dans leur idée, la MHF pouvait devenir plus qu’un musée ou une institution patrimoniale, un centre d’études et de recherches, un portail sur Internet, un lieu d’animation regroupant historiens de métiers et grand public, la tête d’un réseau national et international. Ce faisant, la Maison de l’histoire de France venait menacer bien des positions acquises. Faute de passionner le grand public, elle entraîna, dans le cercle restreint des polémiques parisiennes, une mobilisation sans précédent de contempteurs – académiciens, hauts fonctionnaires, syndicalistes, journalistes, historiens, archivistes, conservateurs de musée – et jusqu’à une sainte-alliance inattendue d’intellectuels de gauche et de militaires de droite. Un projet qui suscite contre lui une unanimité aussi suspecte peut-il être entièrement mauvais ?

Le dernier mot de l’affaire appartient à un des principaux adversaires de la Maison de l’histoire de France, qui, le 31 décembre 2012, prenait acte de l’échec de la Maison sarkozyenne pour réclamer la constitution d’une institution analogue… dont ses amis et lui-même eussent bien évidemment pris les rênes. La tragi-comédie de la MHF s’achevait en farce.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 11/11/2014 )
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