L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

Mais où sont passés les Indo-européens ? - Le mythe d'origine de l'Occident
de Jean-Paul Demoule
Seuil - La librairie du XXIe siècle 2014 /  27 €- 176.85  ffr. / 750 pages
ISBN : 978-2-02-029691-5
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm

L'auteur du compte rendu : Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de l’éducation nationale.

Un archéologue contre les linguistes

Appuyé sur une vaste érudition, l’essentiel du livre de Jean-Paul Demoule présente de façon pertinente les incertitudes des études indo-européennes et les errements auxquels elles ont pu conduire. Il n’en reste pas moins que l’on ressent dès le début l’impression d’un portrait à charge avec des arrière-pensées politiques. 

Jean-Paul Demoule admet comme postulat que le désir de créer un mythe des origines différent de la tradition biblique est à l’origine de ces études, négligeant la nécessité d’une authentique recherche scientifique motivée par ce qu’il reconnait être, faute d’admettre une parenté, de fortes «ressemblances» entre les langues qualifiées d’indo-européennes.

Plus loin, l’auteur s’acharne contre les différents modèles «en arbre généalogique», en se gaussant de leur nombre de même que de la diversité des patries d’origine proposées. Bien entendu, ces modèles demandent à être pris avec prudence, il ne faut toutefois pas ignorer le relatif consensus qui, de Marija Gimbutas à David Anthony, s’est dégagé au cours des quatre dernières décennies.

Selon J.-P. Demoule, il faut renoncer à la simplicité de ce «modèle standard» et rechercher d’autres modèles, «bien plus complexes mais infiniment plus intéressants». La partie du livre consacrée à ces modèles alternatifs (expliquant les ressemblances par des emprunts, des interférences, des mélanges, pidgins, créoles…) est particulièrement succincte (39 pages sur 737). Il faut dire que l’appel à trouver une alternative au modèle de parenté généalogique date déjà de près d’un siècle et n’a pas conduit à beaucoup de développements susceptibles de contribuer à la solution de l’énigme.

L’exemple toujours cité pour imaginer un modèle alternatif est celui, avancé en 1928 par le prince Nikolaï Troubetskoï, du Sprachbund constitué par les langues balkaniques après cinq siècles de joug ottoman. La convergence signalée est réelle mais limitée à quelques aspects grammaticaux et à quelques emprunts de vocabulaire pratique. En revanche, les termes du vocabulaire fondamental (nombres, parentés…) restent clairement identifiables comme grecs, slaves (bulgare et macédonien), albanais ou romans (roumain ou valaque).

On comprend que les linguistes de profession ne se soient pas laissés facilement détourner d’un modèle généalogique qui suppose une langue (ou un complexe linguistique plus ou moins étendu dans l’espace et dans le temps) d’où les langues indo-européennes dérivent à la manière dont les langues romanes dérivent du latin. C’est précisément là que le bât blesse : l’auteur n’est pas un linguiste mais un archéologue. De façon tranchée, il fait fi de deux siècles de travaux et prétend apporter à la «question indo-européenne» une réponse personnelle en contradiction avec l’opinion de la très grande majorité de la communauté internationale des spécialistes du sujet.

La partialité politique de l’ouvrage est également patente : quiconque croit à l’existence des Indo-européens devrait désormais être considéré comme un néo-nazi.

Jean-Pierre Sarmant
( Mis en ligne le 27/01/2015 )
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