L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

La Condition historique - Entretiens avec François Azouvi et Sylvain Piron
de Marcel Gauchet
Gallimard - Folio essais 2005 /  8.50 €- 55.68  ffr. / 482 pages
ISBN : 2-07-031496-0
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en octobre 2003 (Stock, Les Essais).

Voir aussi :

Marcel Gauchet, La Condition politique, Gallimard (Tel), novembre 2005, 557p., 10,50 €, ISBN : 2-07-077576-3.

Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Gallimard (Folio essais), novembre 2005, 457p., 8,50 €, ISBN 2-07-032943-7.

L'auteur du compte rendu : Agrégé d’histoire et titulaire d’un DESS d’études stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Marne la Vallée et ATER en histoire à l’IEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense.


Introduction à une grande pensée

La Condition historique est un livre d’entretiens qui permet de découvrir le parcours et la pensée de Marcel Gauchet, directeur de la revue Le Débat et l’un des principaux intellectuels français de notre époque. Loin de la vulgarité de la plupart des controverses médiatiques ou des pétitions prétentieuses dont le contenu insulte le titre, La Condition historique est l’occasion de découvrir ce qu’est une véritable pensée. Voilà une lecture qui rappelle ce qu’il faut d’intelligence, de temps, de travail, de croisements entre disciplines, de sens de la mesure, de discrétion et d’humilité aussi pour parvenir à élaborer une réflexion multiforme, cherchant à comprendre l’évolution et le fonctionnement de notre société.

De l’école normale d’instituteurs de Saint-Lô, en 1961, à la direction du Débat et à l’EHESS aujourd’hui, le livre retrace quatre décennies de rencontres, de réflexions et d’interrogations. Claude Lefort, Gladys Swain, Pierre Nora ou François Furet pour ceux avec qui Gauchet a travaillé. Levy Strauss, Foucault, Aron et Freud pour ceux qui l’ont nourri intellectuellement. Sa pensée fait appel à la philosophie, la sociologie, l’ethnologie, la linguistique, l’histoire, la psychanalyse et la religion.
Antimarxiste dès la fin des années 60, donc bien avant que ce soit devenu une mode, il ne s’attarde guère à faire le procès rétroactif d’un système dont il avait vite compris l’inévitable nature totalitaire. Les entretiens portent donc sur le structuralisme et l’échec de recomposition universitaire et intellectuelle de Mai 68, à partir d’une science de l’homme unifiée autour de l’élément du langage ; sur l’invention monothéiste ; sur l’exception européenne qui s’affirme à partir de l’An Mil ; sur l’avenir de la psychanalyse ; sur la sortie de la religion et sur l’évolution de la démocratie.

Les quatre derniers chapitres de La Condition historique sont consacrés à essayer de comprendre et d’expliquer le processus qui, à partir du XVIe siècle et de ce que Marcel Gauchet nomme la crise de la médiation religieuse, conduit progressivement à la sortie de la religion. Ce phénomène ouvre d’abord la voie à l’État, désormais seule entité capable de donner un sens au destin collectif et de conduire la communauté. L’effacement du droit divin permet l’émergence d’un nouveau principe de légitimité, celui du droit des individus. Contrat social, absolutisme de la liberté pensée par Rousseau, naissance de la conscience historique, religion séculaire du communisme, totalitarismes, idéologie des droits de l’homme jalonnent ensuite la route qui conduit à la société démocratique actuelle. Aucune des réflexions sur ces thèmes ne peut être résumée en quelques phrases. Mais chacune suscite chez le lecteur une envie d’approfondissement, tant on a le sentiment qu’il s’agit de questions essentielles pour comprendre le fonctionnement de notre démocratie.

Sur l’état actuel de la société démocratique, et bien qu’il s’en défende, le diagnostic de Marcel Gauchet est pessimiste. Selon lui, les démocraties libérales alternent phases d’euphorie et de crise depuis le milieu du XIXe siècle. La première crise, des années 1890 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a débouché sur le phénomène totalitaire. Les individus, désorientés et effrayés par les bouleversements politiques, économiques et sociétaux alors en cours, cèdent à l’appel de systèmes prétendant redonner un sens collectif à leurs destinées. Nous vivons aujourd’hui la deuxième crise. Une fois le phénomène totalitaire disparu, se produit une sorte de phénomène inverse : l’affirmation démesurée de la liberté individuelle, «hypertrophie d’une dimension constitutive des démocraties qui les menace d’impuissance par déséquilibre interne». On retrouve le constat très souvent fait du délitement du lien social, de la perte de légitimité des structures de médiation et d’encadrement, du rejet de tout ce que l’individu perçoit comme une contrainte imposée par la société et dans laquelle il n’aperçoit pas d’avantages immédiats à retirer, de la fascination pour l’éphémère, illustré par le culte actuel voué à la célébrité. Très dur à l’égard de l’idéologie des droits de l’homme ou de la radicalité critique, qui servent surtout ceux qui les produisent mais n’apportent aucune réponse aux problèmes de fond, Marcel Gauchet insiste sur les défis auxquels notre société est confrontée : crise de reproduction biologique et culturelle, crise de l’éducation, crise sociale, crise économique, crise potentielle de sécurité. Malgré ce constat déprimant, il veut rester optimiste ! Le niveau monte. Celui de formation et de conscience de nombreux citoyens, dont les réflexions et les engagements, dégagés des postures militantes, pourront inventer des réponses à l’actuelle crise de la démocratie.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 04/12/2005 )
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