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Mémoires d'un franc-tireur - Itinéraire d'un résistant (1940-1944)
de Jean-Pierre Lévy
Complexe - Histoire du temps présent 1998 /  19.85 €- 130.02  ffr. / 177 pages
ISBN : 2-87027-733-4

Avec la collaboration de Dominique Veillon

Un modeste soldat de l'ombre

A l'heure où l'évocation de la résistance donne souvent l'occasion à d'anciens acteurs et à certains historiens de vider des querelles au nom de la vérité et du "devoir de mémoire", il n'est pas inutile de lire les mémoires posthumes de Jean-Pierre Lévy, ancien responsable du mouvement "Franc-Tireur". Aidé de l'historienne de ce mouvement, Dominique Veillon (Le Franc-tireur, un mouvement de résistance, un journal clandestin, 1940-1944, Flammarion, 1977), qui l'a interrogé afin de l'aider à rédiger ses souvenirs, Jean-Pierre Lévy avait quasiment achevé son travail lorsqu'il disparut en 1996.

Le titre de ce court récit, Mémoires d'un franc-tireur Itinéraire d'un résistant, représente bien la modestie du personnage, pourtant responsable d'un des trois grands mouvements de résistance. On ne trouvera pas dans ce livre de faits nouveaux sur les grands affrontements entre les chefs de mouvements et Jean Moulin, heurts discrètement évoqués. On en retirera par contre le sentiment très net que Jean-Pierre Lévy a essayé d'adopter une attitude conciliatrice entre Pierre Frénay, Emmanuel d'Astier et Jean Moulin. Ce livre ne donne pas lieu à des révélations fracassantes et ne permettra pas de nourrir des procès en mémoire, il est en revanche un témoignage de premier ordre sur ce que fut la naissance de la résistance dans la France de 1940-1941 et sur les différentes étapes qui mènent de la rencontre entre quelques isolés à la fondation d'un grand mouvement national.

En janvier 1941, Jean-Pierre Lévy qui est en contact avec les Anglais, décide de rester en France et rejoint le groupe France-liberté dont il partage le projet : "Notre attitude est d'abord morale : affirmer notre volonté de penser librement. Il nous paraît essentiel de lutter contre des idées aussi nocives que celles qui s'attaquent à la démocratie, à la liberté d'expression, à la dignité de la personne humaine" (p. 50). Cet état d'esprit inspirera le ton du journal Le Franc-tireur dont le premier numéro paraît à la fin de l'année 1941. Un contact avec un envoyé de Londres, Yvon Morandat, lui permet de trouver un financement modeste pour le journal qui devient peu à peu un mouvement de résistance, sans pour autant s'inféoder à Londres. La personnalité de Jean-Pierre Lévy explique probablement en grande partie qu'il ait réussi progressivement à s'imposer comme le chef du mouvement.

Il est fort probable que J.-P. Lévy, qui n'avait pas fait de politique militante a pu d'autant mieux s'imposer qu'il n'avait pas de liens avec un parti de la IIIe république. Sympathisant de gauche, républicain incontestable, il rassemble dans son mouvement des individus de toute obédience, quoique plutôt à gauche. Inquiété une première fois par la police en 1942, il est arrêté à Paris en octobre 1943, incarcéré à la Santé.

A sa sortie de prison à l'été 1944, il participe à quelques réunions du C.N.R., mais face à la "restauration" (C. Bourdet) des partis politiques, constatant l'échec politique de la résistance, il entre progressivement dans une autre forme d'ombre, celle de la fonction publique. C'est désormais au service de l'Etat, dans le cadre du ministère de l'industrie, qu'il poursuit son action, où il partage avec d'autres résistants les idées de réforme et de rénovation du secteur public formulées par le C.N.R.
Une page se tourne alors. Mis à part les amitiés forgées dans la clandestinité, le seul lien subsistant avec cette période de sa vie est celui du quotidien Franc-Tireur où il conserve un siège au conseil d'administration jusqu'en 1954.

Enrichi d'annexes fort utiles, tirées d'archives, ce livre s'imposera comme un document révélant des aspects aujourd'hui un peu oubliés de la résistance. Entre les mémoires de Frénay où domine la politique de la résistance (La Nuit finira, Robert Laffont, 1973), et celles de d'Astier aux ambitions littéraires (Sept fois sept jours, Minuit, 1947 et Les Dieux et les hommes, 1943-1944, Julliard, 1952), ceux de Jean-Pierre Lévy se distinguent par un ton particulier dessinant un engagement en résistance parfaitement naturel, excluant toute forme d'héroïsme.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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