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Muss - suivi de Le Grand Imbécile
de Curzio Malaparte
La Table Ronde 2012 /  18 €- 117.9  ffr. / 211 pages
ISBN : 978-2-7103-6814-4
FORMAT : 11,9cm x 19cm

Carole Cavallera (Traducteur)

Portrait d'un fasciste

"N'oubliez jamais quand vous écrivez sur moi, que je suis profondément bon." (Mussolini à Malaparte ; dialogue rapporté dans Muss).

Curzio Malaparte (1898-1957) est un écrivain étonnant, trop rare à notre goût, à l’œuvre empreinte d'une sorte de mélange subtil d'érudition, de subversion, d'intelligence sensible et de grâce. Il est célèbre pour deux chefs d'œuvre: Kaputt (1944) et La Peau (1949), chroniques de la guerre et de l'après-guerre vues de l'intérieur par un écrivain témoin du chaos et dont les talents d'observation marquent et appellent à la réflexion politique et spirituelle. Son essai La Technique du coup d'état (1931) a lancé l'écrivain dans la vie publique, lancement quelque peu chaotique puisque le livre (interdit très vite par la censure) lui a valu cinq années de surveillance par le pouvoir fasciste. Il condamnait, entre autres, la montée du péril nazi en Allemagne et une vision critique sur le pouvoir qui sévissait dans son pays en la personne de son principal représentant : Benito Mussolini (1883-1945).

De politique il est question également dans ces deux textes, Muss et Le Grand Imbécile. Malaparte est aussi journaliste et son appartenance au fascisme a été de courte durée face à la vilenie de ses instigateurs. Écrit entre 1931 et 1945 (le texte ayant été abandonné puis repris au cours des années), Muss devait être une biographie du tyran vis-à-vis duquel Malaparte a tout éprouvé : respect, admiration, camaraderie, compassion, détestation, mépris, opposition politique. Mais Mussolini est un traitre, dans ce qu'il a de plus bas et de plus vil. C'est une diatribe assez efficace à laquelle s'adonne l'écrivain italien contre un Duce qui par ailleurs a continué à le fasciner. Un portrait tout en finesse et en justesse d'un pays qui a suivi un traitre avant de le trahir à son tour. La thèse de Malaparte est double : mépris du tyran injuste, autoritaire et marqué par la ''stupidité'' (mot revenant souvent dans la langue de Malaparte), et mépris du peuple italien qui s'est vengé sur le cadavre d'un homme conspué puis assassiné. Toute grande âme ne fréquente jamais la foule vengeresse qui décide de briser un homme seul et abandonné, tout coupable et ignominieux qu'il fût.

Le Grand Imbécile est véritablement un pamphlet, surement écrit peu de temps avant la mort du Duce. Une violente critique du pouvoir fasciste et de son dictateur empaffé (dont le culte de la personnalité terrifiait Malaparte, Muss étant l'un des premiers exemples modernes de la mégalomanie assumée), sans aucune culture antique, bête et gras. C'est aussi la vision d'un peuple opposé à son chef mais qui a mis trop de temps à le déloger du pouvoir.

Malaparte est fascinant dans ce double texte anti-Mussolinien. Il déploie son talent de penseur politique et d'auteur styliste. Le ton y est véhément et poétique, notamment lorsqu'il évoque sa mère respectant le Duce malgré l'emprisonnement de son fils ou encore la symbolique de l'écrivain fermant les yeux du tyran déchu, humilié et bafoué par la foule. C'est tout l'art de l'écrivain italien : être simple et puissant, professeur d'histoire et écrivain brillant. En période de ''Grotesque'' électoral, il est bon de lire ces lignes, qui pour certaines, vont comme un gant à nos candidats, près d'un siècle plus tard. Un texte fondamental sur l'Italie Fasciste, à découvrir dans le style inégalable d'un des plus grands écrivains italiens.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 13/03/2012 )
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