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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Hocus Pocus - A l'école des sorciers en Grèce et à Rome
de Christopher Bouix et Anne-Marie Ozanam
Les Belles Lettres - Signets 2012 /  13.50 €- 88.43  ffr. / 290 pages
ISBN : 978-2-251-03017-3
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

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Christopher Bouix a réuni divers textes sur la sorcellerie et les sorciers en Grèce et à Rome, faisant précéder son anthologie d’un entretien avec Anne-Marie Ozanam, professeur de première supérieure au lycée Henri IV à Paris, et auteure, avec Pascal Charvet, d’un ouvrage sur La Magie. Voix secrètes de l’Antiquité (Nil, 1994).

La première partie présente des textes s’essayant à une certaine définition de la magie. D’Hippocrate à Apulée, en passant par Platon et Lucien de Samosate, nombreux sont en effet les auteurs à s’être posé la question parfois inextricable de la nature de la magie. Tour à tour conçue comme une vraie sagesse ou une charlatanerie, elle se distingue parfois assez difficilement des superstitions, des folklores, de la religion, mais aussi de la philosophie ou des sciences, tant elle apparaît comme une discipline transversale et transgressive. Les mots désignant le sorcier ou le magicien sont eux aussi variés : magos, goês ou pharmakeus chez les Grecs ; magus, saga, maleficus ou veneficus chez les Romains. Les termes renvoyant à la magie (mageia et magia) renvoient à la religion des mages perses, donc à l’étranger. Chez Homère, c’est l’Egypte qui fait plutôt figure de pays des charmes et des philtres, tandis que pour Pline ce sera plutôt la Gaule. Certains Grecs firent aussi les frais de cette crainte mêlée de fascination de l’étranger : ainsi, pour les Romains, la Thessalie passait pour la patrie des magiciennes. Il en allait de même pour certains peuples Italiens, comme les Marses des Apennins.

La deuxième partie, «Femmes fatales», dresse le portrait des magiciennes de l’Antiquité, en commençant par Circé, qui transforme les compagnons d’Ulysse en pourceaux, et sa nièce Médée, qui par ses sortilèges aide Jason à s’emparer de la Toison d’or, avant de se venger cruellement de lui quand il l’abandonne pour une rivale plus jeune. En plus de ces deux figures centrales, la littérature antique regorge de figures ensorceleuses et funestes, comme la Simaitha de Théocrite, la Canidie d’Horace, l’Erichtho de Lucain, l’Œnothée de Pétrone ou la Méroé et la Panthia d’Apulée. La troisième partie traite de la situation des «sorciers dans la cité». Ils sont condamnés par Platon dans Les Lois et La République. A Rome, ils peuvent faire l’objet de procès, comme le prévoit la loi des Douze Tables. Tite Live rend ainsi compte du meurtre au IVe siècle av. J.-C. de plusieurs dignitaires romains par des matrones ayant utilisé des philtres empoisonnés. Parce qu’elle est toujours liée avec la volonté de puissance, la sorcellerie est sévèrement punie par les pouvoirs en place. La séparation progressive des savoirs à partir de l’époque archaïque conduit le sorcier à se distinguer du médecin, du philosophe ou du poète, même si toutes les couches de la société ne sont pas toujours concernées par un tel mouvement.

La quatrième partie, «Apprentis sorciers», s’intéresse à la manière dont on devient magicien, aux cérémonies d’initiation occultes, et aux pratiques et rituels magiques, comme la confection de tablettes de malédiction (defixiones). Des auteurs comme Théocrite, Virgile ou Ovide évoquent la cueillette des simples et des herbes magiques. Les ensorcellements font l’objet de la cinquième partie, qui s’ouvre sur l’évocation des philtres d’amour et autres potions érotiques, dont on trouve certaines recettes dans les papyrus grecs magiques. Viennent ensuite des textes décrivant de véritables opérations de magie noire (la confection du cadeau empoisonné de Médée à sa rivale, la malédiction de Didon envers Enée, un papyrus grec magique proférant les pires malédictions…) et la croyance au mauvais œil. Dans la sixième et dernière partie, «Pour le prestige», on découvre la première mention de la célèbre formule «abracadabra», dans un ouvrage du IIIe siècle ap. J.-C. (De medicina praecepta saluberrima, de Quintus Serenus Sammonicus) ; elle ne sert alors qu’à soigner la fièvre. Car le magicien parle une langue qui lui est propre, à l’immense puissance performative. Les formules magiques sont généralement constituées de mots incompréhensibles, mais censés être efficaces. Il s’agit ainsi d’imposer sa volonté au monde, de le transformer au gré de son plaisir. Sont aussi présentés dans cette partie des textes sur les métamorphoses, présentées tantôt comme des récompenses, tantôt comme des châtiments, mais qui deviennent assez vite un topos de la littérature magique. L’anthologie se termine sur les rapports entre la magie et la mort ou plutôt les morts, auxquels les sorciers n’hésitent pas à faire appel, de même qu’aux divinités souterraines et infernales.

Comme pour les autres ouvrages de la collection ''Signets'', on trouve en annexes de courtes notices biographiques des auteurs cités, une bibliographie présentant à la fois les sources et des études modernes, et un index des auteurs et des œuvres. S’y ajoutent une collection de recettes magiques antiques (beaucoup nous sont parvenues grâce à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien) ainsi qu’un glossaire des termes de magie. Ce volume très intéressant complète bien l’un des autres titres de la collection, consacré à la Paranormale Antiquité. La mort et ses démons en Grèce et à Rome (2011).

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 25/09/2012 )
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