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Histoire & Sciences socialeset Témoignages et Sources Historiques  

Ennemis fraternels 1914-1915 - Hans Rodewald. Antoine Bieisse. Fernand Tailhades. Carnets de guerre et de captivité
de Ackart Birnstiel et Rémy Cazals
Presses universitaires du Mirail 2002 /  16.80 €- 110.04  ffr. / 190 pages
ISBN : 2-85816-616-1

Ennemis fraternels 1914-1915

L’intérêt des lettres, journaux intimes et témoignages oraux des anciens combattants n’est plus à démontrer. Rémy Cazals avait publié en son temps ce qui est devenu un classique du genre : Les Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, plusieurs fois réédités. Il s’intéresse cette fois aux prisonniers de guerre, dans cette étude croisée du destin d’un soldat allemand et de deux poilus de la Grande Guerre. Longtemps parents pauvres de l’historiographie, ces «soldats sans armes» ont fait l’objet d’études récentes de la part de François Cochet, Odon Abbal et Annette Becker, notamment. Quelques témoignages seulement ont été publiés, dont celui de Charles Gueugnier en 1998. On se réjouit donc de voir cette thématique continuer d’être explorée ici.

L’originalité de l’ouvrage de Rémy Cazals réside dans l’approche du sujet, très personnalisé puisqu’il est question de ses grands-pères et de ceux du co-auteur dès l’introduction. La Grande Guerre n’est pas un phénomène historique comme les autres puisqu’elle a directement touché l’ensemble des familles françaises et allemandes. Qui plus est, son souvenir demeure, pour quelques années encore, relié de manière directe et intime à des images et des récits entendus dans le cercle restreint de la parenté ou du voisinage par les plus de trente ans. La perspective franco-allemande, source d’enrichissement mutuel, ajoute encore à l’intérêt de cette démarche.

L’introduction situe le parcours des trois témoins dans le déroulement général du conflit, avant que la parole leur soit donnée. Le lecteur est alors aussitôt immergé dans l’atmosphère du début du conflit, période cruciale qui marque – on le saura plus tard – la charnière entre le XIXe et le XXe siècle. Etonne tout particulièrement l’importance des rumeurs, souvent sans aucun fondement, comme ce récit de l’assassinat d’un uhlan allemand par un prêtre chez qui il croyait avoir trouvé un havre de paix (et qui, en prime, découpe le cadavre pour le faire disparaître !). L’importance de l’histoire des représentations a été soulignée maintes fois par les historiens. Bien réelles – et finalement peu étudiées – apparaissent en revanche ces atrocités commises par les Allemands en Belgique et en France en août 1914, ou cette stupeur des soldats des deux camps devant la découverte du «feu» sur le champ de bataille. Le reflet de ces horreurs est heureusement inverse : une fois blessé Hans Rodewald est soigné par un Français, véritable « brave type », tandis qu’Antoine Biesse, déjà agonisant, est sauvé par les brancardiers lorrains de l’armée allemande. Commencent pour eux plusieurs années de captivité.

Peu convaincu par les conclusions de «l’école de Péronne», Rémy Cazals remet en cause la notion même de «culture de guerre», fondement de l’approche historique d’Annette Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau. Il lui oppose une «culture de paix» de personnes qui n’avaient absolument pas demandé à se trouver sous l’uniforme et n’aspiraient qu’à retrouver leur foyer. Cette étude apporte donc un nouvel élément à un débat historiographique en cours.

Jean-Noël Grandhomme
( Mis en ligne le 13/03/2003 )
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