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Chronique de la Fronde
de Madame de Motteville
Mercure de France - Le Temps retrouvé 2003 /  24.50 €- 160.48  ffr. / 546 pages
ISBN : 2-7152-2397-8
FORMAT : 16x24 cm

Edition présentée et annotée par Jean-Michel Delacomptée.

L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.


Chronique d’une femme de chambre

Selon les Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV, les places de femme de chambre de la reine «sont fort recherchées quoiqu’elles ne rapportent que 1 200 livres pour gages et nourritures, et qu’il y ait de l’assujettissement et de la fatigue, et une dépense assez considérable en habits sans aucun profit». Peut-être en était-il de même un siècle auparavant au début du règne de Louis XIV, mais le profit n’était pas ce que recherchait madame de Motteville (1621-1689) en exerçant la charge de femme de chambre d’Anne d’Autriche. Servir la reine était sa raison d’être au point de consacrer à sa maîtresse ses propres mémoires, dont cette Chronique de la Fronde ne constitue qu’une partie, devenues Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche. A-t-on jamais vu titre de mémoires dans lequel l’auteur s’effaçât autant ? Rien d’étonnant que ce soit un portrait de la reine par Rubens qui orne la couverture.

Il est vrai que Françoise Langlois de Motteville avait le sentiment de devoir beaucoup à la souveraine. Née Françoise Bertaut vers 1621, elle est la fille de Pierre Bertaut, premier gentilhomme de la chambre du roi Louis XIII, et d’une femme de chambre espagnole d’Anne d’Autriche, que la reine utilise pour entretenir une correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne. Ces services rendus valurent une pension de 600 livres versée à la jeune fille par la reine reconnaissante et un exil en province ordonné par le cardinal de Richelieu en 1631. En 1643, lorsque Anne d’Autriche, devenue plus française depuis la naissance de Louis Dieudonné, commence sa régence, elle n’oublie pas ses fidèles : la charge naguère occupée par la mère revient à la fille, devenue madame de Motteville depuis son mariage avec Nicolas Langlois, seigneur de Motteville et premier président de la chambre des comptes de Rouen – un barbon qui décède au bout de deux ans.

C’est dire la proximité, physique et morale, qui la lie à la souveraine. Cette fidélité ne se démentit jamais, même au travers de cette tempête pour la monarchie française que fut la Fronde (1648-1652) et qui occupe les 2/3 des Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche. En faisant œuvre de mémorialiste, après la mort de sa maîtresse en 1666, madame de Motteville entend en justifier la politique et les actions quotidiennes. En publiant à partir de l’édition parue en 1838 dans la collection des Mémoires pour servir à l’histoire de France de Michaud et Poujoulat, ce volumineux extrait, sous le titre de Chronique de la Fronde, les éditions du Mercure de France offrent un pendant royaliste aux Mémoires du frondeur cardinal de Retz.

Cependant, comme le reconnaît dans son introduction Jean-Michel Delacomptée, l’éditeur de cette Chronique, il y a peu en commun entre «l’effort loyal et scrupuleux de la confidente et l’autocélébration flamboyante du coadjuteur» (p.22). De fait, Françoise de Motteville fait abstraction de sa personne et sa plume livre un style qui ne doit rien à la préciosité et que lassent au contraire les redondances et les redites. Sa rigueur dit l’importance que revêt la tâche pour son auteur, d’où un certain souci du détail qui peut paraître bavard. Le texte tient plus de l’apologie que de l’hagiographie : il ne s’agit pas de courtiser mais de témoigner.

D’où un confortement du choix délibéré d’effacer du texte quelques «points superflus, digression hors de propos, anecdotes sans portée» (p.15). C’était «privilégier l’aventure collective d’une période cruciale, au détriment des péripéties de palais» (ibid.). L’éditeur s’inscrit dans la même ligne que sa mémorialiste. Au demeurant, des notes rendent compte de ces césures et apportent nombre d’informations, biographiques notamment, que vient compléter un index des noms propres. Il est toujours un peu dommage que le rejet de ces notes en fin de volume pour des raisons d’édition ou de lisibilité comme pour des raisons commerciales, rende moins pratique une lecture scientifique.

Ces soustractions textuelles n’empêchent pas madame de Motteville de décocher quelques flèches du Parthe soigneusement ajustées : aux ennemis de sa reine, d’abord, comme le frondeur duc de Beaufort, qui, mollement attaqué par le royaliste maréchal de Grammont, hasarde «généreusement sa vie pour conserver celle des bœufs et des moutons qui devaient nourrir ses bons amis les Parisiens» (p.166) ; aux amis de la reine ensuite, car Françoise Bertaut ne cache pas ses ressentiments dont bénéficient Mazarin, par exemple, même si sa fidélité à l’égard d’Anne d’Autriche est reconnue.

Le devoir de mémoire de madame de Motteville envers Anne d’Autriche est donc riche d’informations, et si Pierre Goubert, dans la biographie qu’il consacre à Mazarin (Fayard, 1990), qualifie la femme de chambre tour à tour d’acide, prosaïque, bavarde ou d’une pieuse indignation devant le soutien offert par les alliés anglais à la France, bien après cette Chronique de la Fronde, il l’honore par deux fois de l’adjectif utile…

Hugues Marsat
( Mis en ligne le 01/03/2004 )
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