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Les Métamorphoses ou l'Ane d'or - Edition bilingue français-latin
de Apulée
Les Belles Lettres - Classiques en poche 2007 /  19 €- 124.45  ffr. / 526 pages
ISBN : 978-2-251-79993-3
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Peau d’âne

La renaissance de la collection «Classiques en poche» des Belles Lettres se poursuit, et l’éditeur ne se contente pas toujours de reprendre les traductions, parfois anciennes, de la prestigieuse «Collection des Universités de France». Les présentations et les commentaires sont pour la plupart inédits, mais avec la publication des Métamorphoses ou l’Âne d’or, Olivier Sers nous offre une traduction nouvelle de l’œuvre, comme il l’avait déjà fait pour le Satiricon de Pétrone (2001) et les Satires de Juvénal (2002) dans la même collection. L’œuvre n’est rien de moins que le seul roman latin dont nous possédions le texte intégral. Rrappelons que le Satiricon, dont l’attribution à Pétrone reste incertaine, comporte des lacunes et reste inachevé, malgré l’interprétation magistrale qu’en a donnée le cinéaste Federico Fellini en 1969, mélangeant l’histoire principale à des récits secondaires (dont le conte d’Eros et de Psyché, connu seulement par cette source), en mêlant érotisme, farce, fantastique, macabre et mysticisme.

L’auteur, né vers 125 ap. J.-C. à Madaure (dans l’actuel Constantinois), est un Africain de culture à la fois grecque et romaine. «Sang mêlé moitié Numide moitié Gétule», il est le fils du duumvir d’une colonie romaine. Il a d’abord appris la rhétorique et la philosophie à Carthage, puis à Athènes où il a parfait sa connaissance du grec, tout en tâtant de la poésie, de la géométrie, de la musique, de l’optique, de la médecine et même de l’ichtyologie. Sur le plan religieux, il s’est fait initier en Grèce à un très grand nombre de cultes. Il a séjourné en Phrygie, à Samos et à Rome, et s’est essayé à un très grand nombre de genres littéraires (poésie épique et lyrique, comédie, tragédie, satire, discours…), bien qu’il ne place rien au dessus de la philosophie platonicienne. Fin 158, on le trouve en mauvaise posture à Sabratha (non loin de Leptis Magna en Tripolitaine), déféré devant le proconsul comme mage et sorcier, crime passible de la peine de mort. On l’accuse d’avoir deux ans plus tôt envoûté pour s’en faire épouser une riche veuve de quarante ans, mère d’un de ses condisciples de naguère à Athènes, décédé depuis. Les poursuites sont menées au nom du fils puîné encore mineur par le frère du premier mari. Apulée se défend lui-même par une plaidoirie brillante dont nous possédons le texte complet (l’Apologie, également publiée dans la collection «Classiques en poche» en 2002). Il est acquitté et poursuit peu après une carrière semi-nomade de conférencier-touriste-collectionneur, avant de fixer à Carthage sa résidence principale. On perd sa trace vers 170. Apulée apparaît ainsi comme un éminent représentant de la génération d’intellectuels du IIe siècle ap. J.-C. cataloguée par les modernes sous l’étiquette de «seconde sophistique».

Dans les Métamorphoses (ce titre alterne avec celui de l’Âne d’or), le lecteur a affaire à un grand récit-spectacle à transformations : les tribulations à travers la Thessalie du narrateur, Lucius, naïf trop curieux qu’une opération de sorcellerie ratée a transformé en âne (conservant cependant sa conscience humaine). Mais, dans la narration principale, viennent s’insérer divers récits magiques, histoires de brigands, fabliaux burlesques et gaillards, ou encore sanglants faits divers. On voit tour à tour de vieilles sorcières lubriques se muant en belette ou hibou et transformant les mâles leur ayant déplu en castor, grenouille ou bélier, déplaçant les maisons, arrêtant le soleil, endormant les enfants huit ans dans le ventre de leur mère, faisant couler les torrents à l’envers ; on assiste à l’horrible trépas d’un héroïque brigand déguisé en ours, déchiqueté par de féroces molosses et achevé à coups de piques. On visite l’atrium de Byrrhène, cousine du grand Plutarque ; on apprend tout des spécialités culinaires et érotiques de la belle soubrette Photis, dont le narrateur obtient qu’elle lui permettre d’accéder aux potions magiques de sa sorcière de maîtresse. On assiste à Corinthe à un grand spectacle municipal de danse et de mime ; on entend différents récits (le conte du dragon dévoreur d’éphèbes ; le pauvre fait cocu ; le combat à mort des trois bons frères contre le mauvais riche razzieur de terres ; les infidélités de la meunière débauchée ; les orgies de la matrone zoophile qui en pince pour notre héros ; les aventures de la bru sanglante ou de la marâtre empoisonneuse, sans parler de la fable merveilleuse de Psyché qui a tant inspiré les contes de fées modernes. Les tribulations de l’âne-narrateur l’amènent jusque dans l’amphithéâtre, où il doit honorer une condamnée avant d’être lui-même dévoré par des fauves. Il réussit à s’enfuir et implore la déesse Isis qui lui apparaît dans toute sa gloire à la pleine lune, telle une puissance syncrétique dont plusieurs déesses du monde antique (Cybèle, Minerve, Vénus, Diane, Proserpine, Cérès, Junon, Bellone, ou Hécate) ne seraient que des avatars. Elle le guide vers ses prêtres qui lui offrent des roses lui permettant de retrouver son apparence humaine, et il finit sa vie en devenant un dévot de la déesse d’origine égyptienne.

Certains savants modernes ont tenu ce roman pour une joyeuse acrobatie littéraire éblouissante mais sans message caché, tandis que d’autres y ont décelé un arrière-texte crypté justiciable d’une clé de déchiffrement qu’on a proposée tour à tour platonicienne, mystique, folkloriste, isiaque ou même psychanalytique, faisant d’Apulée le magicien que ses ennemis l’avaient accusé d’être. Apulée a probablement composé ses Métamorphoses entre sa quarantième et sa soixantième année, sans qu’il soit possible d’être plus précis. On peut cependant se faire une idée de sa méthode et de son apport personnel. Au IXe siècle byzantin, Photius, patriarche de Constantinople, composa un recueil de 280 fiches de lecture d’ouvrages grecs pour la plupart perdus depuis. L’un deux est l’œuvre d’un certain Lucius de Patras, auteur de «divers livres de Métamorphoses», qui sembleraient plagier l’écrit Lucius ou l’Âne de Lucien. Mais c’est plus probablement Lucien qui a copié Lucius. De ces deux ouvrages comparés par Photius, seul nous est parvenu un «digest» attribué (faussement, de l’avis unanime des hellénistes) à Lucien. La trame est la même que celle du roman d’Apulée : l’histoire d’un naïf trop curieux qui couche avec la soubrette d’une sorcière son hôtesse, obtient qu’elle vole une fiole d’onguent magique à sa maîtresse, se retrouve changé par erreur en âne, est volé par des bandits qui le conduisent dans une caverne où ils amènent ensuite une jeune captive, fuit avec elle avant d’être repris et libéré grâce à l’extermination de la bande, est envoyé par la captive reconnaissante s’ébattre au milieu des juments dans ses domaines, y est rejeté par les étalons, maltraité par la fermière, torturé par un ânier sadique, et revendu successivement comme bête de somme d’une troupe de prêtres de la Déesse Syrienne, d’un meunier, d’un jardinier, d’un soldat, enfin de deux frères, cuisiniers esclaves, qui, découvrant ses goûts dignes d’un humain (et pour cause !), le revendent comme âne savant à leur maître, qui laisse son intendant louer ses saillies à une matrone énamourée, faisant payer le prix fort aux voyeurs, et finit par le promouvoir au rang de tête d’affiche du prochain spectacle municipal, où il tiendra la vedette en copulant publiquement avec une condamnée, ce à quoi il échappe in extremis en dévorant les roses fraîches qui seules peuvent lui rendre forme humaine, et qu’il cherchait en vain depuis sa transformation.

A ce happy end, la version courte du Pseudo-Lucien plaque un épilogue gaillard (absent d’Apulée) : redevenu homme, le narrateur se présente chez la matrone zoophile, qui, au vu de ses nouvelles mensurations, le fait chasser par ses serviteurs. L’apport d’Apulée a probablement consisté à incorporer à la trame du récit de Lucius-Lucien dix épisodes supplémentaires, plus dix-huit sous-récits (ou sous-sous récits !), sans compter les tableaux fixes ou animés, les monologues intérieurs, les prières et réponses divines, des morceaux oratoires, des recettes de cuisine et même une clé des songes ! Il y a également dans la prose d’Apulée un certain nombre d’innovations, néologismes, surgissement de sens inédit pour des mots anciens, simplifications syntaxiques, renouvellement d’expressions usées, etc… qui témoignent de la vie évolutive de la langue latine de son époque. La partie finale du texte est aussi un témoignage éloquent de la piété isiaque sous l’Empire romain.

La traduction est précédée d’une utile préface d’une trentaine de pages. Oliviers Sers présente à la fin les émendations apportées à l’établissement du texte, puis un aperçu bibliographique de six pages qui permet d’aller plus loin dans l’étude de ce fascinant et foisonnant roman du IIe siècle ap. J.-C.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 13/11/2007 )
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