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Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

La Pensée noire et l'Occident - De la bibliothèque coloniale à Barack Obama
de Anthony Mangeon
Sulliver - Mouvements de pensée 2010 /  22 €- 144.1  ffr. / 301 pages
ISBN : 978-2-351-22068-9
FORMAT : 15,1cm x 22cm

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.

Africa, j’ai envie de penser…

«L’Afrique, berceau de l’humanité»… C’est sur de tels adages que se fondent les malentendus. À prêter à un continent tout entier une fonction génésiaque, on en arriverait vite à conclure que les peuples qui l’habitent ne sont jamais sortis d’une espèce d’état d’enfance, de sauvagerie innée. L’essai d'Anthony Mangeon nous éloigne des sentiers battus et rebattus par les pieds des péripatéticiens grecs pour nous proposer une belle leçon de relativisme culturel.

Car la philosophie fait bien partie de ces patrimoines universels que l’Occident a monopolisés, voire confisqués depuis des siècles, occultant de la sorte les courants de pensée des cultures qu’il préférait coloniser que réellement connaître. Mangeon remonte aux sources même du processus ; pour ce faire, rien de tel que d’interroger les dichotomies faciles, comme celles qui consistent à opposer Lumières et Ténèbres, logos et pathos, raison et instinct, culture et nature. Qu’il s’intègre dans une logique de répulsion ou de fascination, le discours sur l’Afrique n’est en tout cas jamais dépourvu d’une rhétorique qui s’apparente aux schèmes édictés par la «bibliothèque coloniale», un corpus riche de récits de voyage, d’essais, d’œuvres littéraires, qui court d’Hérodote aux contemporains en passant par les explorateurs arabes. Le regard globalement porté sur l’altérité dans ces textes tend à définir ce que serait, finalement, un «primitif», essentialisé dans sa différence ; conjugué au positivisme scientifique, ce travail de classement et de hiérarchisation débouchera sur l’aberration de constats «naturalistes» qui constituent en réalité les fondements du racisme.

Mangeon envisage les moments de rupture successifs qui creusèrent les premières failles dans ce système de valeurs et de jugements. Ce seront notamment, avec Ribot et Lévy-Bruhl en France, les ébauches d’une réelle prise en considération d’une «mentalité primitive» rapprochée d’une forme de logique affective et, avec Evans-Pritchard et Boas, les bases de l’anthropologie contemporaine. Puis viendront Levi-Strauss et le structuralisme…

Au panorama historique des idées succède une approche plus thématique. Mangeon envisage ainsi les rapports entre langage et philosophie en Afrique (éminemment complexes vu la diversité des langues en présence, donc des visions de monde qu’elles colportent), entre oralité et écriture (autre cliché rectifié : la réduction de la pensée noire à une transmission purement orale), entre les concepts de négritude et d’afrocentrisme (qui verra la virulente contestation de Senghor par le poète Diop), enfin entre littérature et philosophie (à travers les récits du Sénégalais Cheikh Amidou Kane et de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma).

Plutôt qu’une «pensée noire» close sur elle-même, bâtie en réaction à ses souffrances et ses humiliations passées, Mangeon soutient plutôt l’existence d’un «penser noir» qui «[…] par son insistance continue sur le jeu de la réciprocité, par son choix d’un devenir et d’un monde en gésine plutôt qu’en l’état, […] offre une alternative à la clôture identitaire». C’est dire si notre société essoufflée, à court d’audaces et cyniquement repue de ses merveilleuses «innovations» aurait beaucoup d’enseignements à tirer d’un tel cheminement intellectuel. L’essai de Mangeon y est une excellente invite.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 16/11/2010 )
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