L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

La Chine en dix mots
de Yu Hua
Actes Sud - Lettres chinoises 2010 /  22 €- 144.1  ffr. / 331 pages
ISBN : 978-2-7427-9223-8
FORMAT : 11,6cm x 21,6cm

Traduction d'Angel Pino et Isabelle Rabut

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.


Tourisme lexical

«Peuple», «leader», «lecture», «écriture», «Lu Xun», «disparités», «révolution», «gens de peu», «faux», «embrouilles». 10 mots pour décrire un monde, un continent, une société complexe, en pleine évolution. 10 mots pour résumer la Chine, challenge improbable, forcément impressionniste.

Le portrait d’une Chine à la fin du XXe siècle, marquée par la révolution culturelle, Tian ‘an men (magnifique premier article sur la notion de peuple et ses impasses) et la figure tutélaire de Mao, le grand leader (là, ce sont plutôt les souvenirs de l’auteur en petite fille dévouée au culte du grand homme, en pleine révolution culturelle), une Chine qui passe, violemment, du carcan idéologique au consumérisme le plus effréné. Et donc une vision qui se revendique certes comme personnelle, subjective, fondée sur la mémoire et l’enfance (une manière de la revivre aussi, comme l’auteur l’indique du reste page 85 en invoquant le poète latin Martial), des anecdotes, mais qui n’en est pas moins analytique, et non consensuelle : sur l’économie actuelle, engendrée par la Révolution, sur la politisation du quotidien (avec, page 156, cette anecdote merveilleuse et surréaliste, où un comité révolutionnaire traque dans un collège l’auteur d’un graffiti figurant le mot «amour»), sur la vogue des mots et des expressions (le mot «embrouille») comme le signe d’une transformation de la culture populaire…

Quelques articles cinglants, comme celui sur les «gens de peu», qui, évoquant la période de la Révolution culturelle, voit la transformation d’un simple jugement de valeur en une catégorie sociale autonome. On s’amuse avec l’article «faux» qui exploite, jusqu’à l’absurde (l’histoire du «faux Mao Zedong féminin»), l’art de la contrefaçon chinoise et ses périls. On trouve également quelques articles plus culturels, comme celui consacré à la figure de Lu Xun, intellectuel du parti et argument d’autorité pour une petite fille en quête de vérité toute prête et «politiquement correcte». Car ce qui affleure constamment, dans cet ouvrage à la fois engagé et nuancé, c’est l’aliénation, vécue par tout un peuple, la disparition d’une culture ancienne au profit de mots d’ordre («le président Mao est le peuple»), une aliénation vécue par l’auteur qui fait, dans cet ouvrage une sorte de thérapie.

Auteur d’un Brothers salué par la critique internationale, Yu Hua livre ici une sorte de long commentaire sur ce roman qui se voulait à l’image de la Chine actuelle : un peu comme un écrivain qui ouvre son cabinet, ses carnets, elle évoque son enfance, sa jeunesse chinoise, ses impressions et le mouvement violent de l’Histoire, de la révolution culturelle à la voie chinoise d’économie de marché, avec ses invariants (le consumérisme, les inégalités…).

Un témoignage intéressant, écrit d’une plume à la fois sobre, sensible aux anecdotes, aux formules, et pédagogique : l’ouvrage idéal pour voir la Chine autrement, à mi-chemin d’une réflexion analytique et d’un journal de bord.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 06/12/2010 )
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