L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

Tunisie, du triomphe au naufrage - Entretiens avec le Président Moncef Marzouki
de Pierre Piccinin da Prata
L'Harmattan 2013 /  20 €- 131  ffr. / 204 pages
ISBN : 978-2-343-01949-9
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006), et publié récemment, entre autres aux Editions du Cygne, L’Ingérence de l’OTAN en Serbie (2013).

Du printemps à l’automne

Pierre Piccinin da Prata, comme il l’a montré pendant la guerre de Syrie, est un intellectuel de terrain, qui expose son torse au risque des balles et son cerveau à la connaissance directe des peuples en guerre. L’homme a son sens de l’analyse globale des enjeux, son indépendance d’esprit, son franc parler (pas toujours du meilleur goût dans la forme si on en juge par la profusion d’expressions très familières dont il truffe l’introduction de son livre, mais qu’importe) et surtout un rapport de première main au monde arabe. On peut ne pas être d’accord avec tout ce qu’il dit, mais on ne devrait jamais ignorer complètement son point de vue.

Cette fois-ci, l’universitaire retourne aux sources des révolutions du «printemps arabe», la Tunisie, où le président Moncef Marzouki, «l’humaniste et le droit-de-l’hommien qui avait connu les prisons du dictateur Ben Ali», comme il le présente, l’a reçu pour une série d’entretiens.

L’ouvrage comporte ainsi trois interviews accordées successivement en février 2011, novembre 2011 et juin-juillet 2012. Il permet de comprendre, de l’intérieur, le processus révolutionnaire tunisien, et l’analyse qu’en fait, au jour le jour, et, pour ainsi dire, «à chaud», un de ses acteurs principaux. Ainsi sont clairement exposés les espoirs et les dangers qui ont animé la vie politique du pays, des risques d’une sécession organisée par les pro-Ben Ali, à la montée en puissance des Frères musulmans et des salafistes. Les propos de Moncef Marzouki sont régulièrement entrecoupés de commentaires de Pierre Piccinin da Prata, qui remettent en perspective les événements et offrent notamment d’intéressants points de comparaison avec l’autre grand «printemps arabe», celui d’Égypte.

Comme son titre l’indique, l’ouvrage se termine sur une note assez pessimiste quant aux chances du peuple tunisien de sauvegarder les acquis de la révolution face aux éléments conservateurs, et de garder un contrôle effectif sur le pouvoir politique et les moyens de son émancipation collective. «La Tunisie postrévolutionnaire, si elle échappait à l’islamisation, pourrait se décliner entre un populisme décomplexé et une manière de retour à l’ancien régime. Si toutefois les généraux… lui en laissent le choix», conclut-il. Un jugement qui ferme peut-être un peu vite la porte aux ressources d’intelligence et de courage dont le peuple tunisien a su faire preuve à divers moments de son histoire, et notamment en 2011, mais qui a au moins le mérite de tordre le cou à l’optimisme stéréotypé qui caractérisait les médias Occidentaux à propos des «printemps arabes» il y a trois ans, et qui même, par endroits, incite à se défaire carrément de cette expression, dans la mesure où les «printemps» n’ont pas donné beaucoup de fleurs, et n’ont finalement concerné que bien peu de pays arabes…

Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 14/01/2014 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)