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Oussama - La fabrication d'un terroriste de Jonathan Randal Albin Michel 2004 / 21.50 €- 140.83 ffr. / 411 pages ISBN : 2-226-15570-8 FORMAT : 16x24 cm Le phénomène Ben Laden Devenir un phénomène éditorial ne faisait pas forcément parti du plan de carrière médiatique d’Oussama Ben Laden. On croit savoir qu’il a plutôt visé le créneau de la télévision, et cela, il faut bien en convenir, avec un certain succès. Mais enfin, le résultat est là : Ben Laden se vend bien. Parmi les dernier exemples en date, Oussama de Jonathan Randal. Le sous-titre du livre, La fabrication d’un terroriste, rajouté par l’éditeur français, laisse augurer d’une étude sur la formation de Ben Laden ou sur la manière dont il est devenu à la fois l’incarnation du mal et l’homme qui, presque seul, menace l’ordre international. Le contenu ne répond pas tout à fait à cette attente. Jonathan Randal sait incontestablement de quoi il parle, mais il a du mal a choisir une ligne de conduite claire et à s’y tenir : le livre peine à trouver son style. Ce n’est ni un tout à fait un récit, ni non plus une analyse du phénomène Ben Laden. C’est un peu des deux et également un peu un pamphlet anti-Bush ; nous y reviendrons. Cette exaspérante habitude d’appeler ses ennemis par leur prénom, Oussama ou Saddam, comme s’il s’agissait d’un adversaire de tennis, dénonce immédiatement la nationalité de l’auteur : américain. Vieux journaliste, blanchi des décennies durant sous le harnais du Washington Post, Jonathan Randal a bourlingué de l’Algérie à l’Afghanistan, en passant, longuement, par le Liban et l’Arabie Saoudite. Il est fasciné par son sujet qu’il a vainement tenté d’interviewer avant les attaques du 11 septembre 2001. Faute d’avoir cette source de première main, il nous entraîne sur les traces de Ben Laden, dans un tour du monde musulman et dans un voyage à travers ses souvenirs et ses anecdotes. L’ouvrage est une succession de tableaux, des reportages pourrait-on dire, sur les lieux ou les moments qui ont jalonné la carrière de Ben Laden et celle de Randal. L’essor de l’Arabie Saoudite, la guerre d’Afghanistan, le Soudan ou la nébuleuse terroriste internationale imaginée par Ben Laden sont les principales étapes de ce périple. L’accessoire s’y mêle à l’important, voire à l’essentiel, le bien connu côtoie le secret d’initié. Il en résulte l’impression d’un livre riche en exemples mais pas tellement en enseignements de fond. Oussama traite trois thèmes principaux : Ben Laden lui même, le monde musulman, dans les limites de ce que les Américains appellent Moyen Orient et qui s’étend du Maroc au Pakistan, et la politique de l’Administration Bush depuis le 11 septembre. Le premier est certainement le plus intéressant, parce que c’est le vrai sujet de Randal et parce qu’on se rend compte que si on sait à peu près comment les choses se sont passées, on ne sait pas grand chose qui permette d’expliquer pourquoi Ben Laden a ainsi choisi de devenir le chef de guerre des musulmans contre le reste du monde. Le récit que Randal fait du parcours religieux et militant de Ben Laden tord au passage le cou à une critique répétée comme un leitmotiv depuis le 11 septembre, selon laquelle les Américains auraient eux-mêmes créé leur futur ennemi dans les années 80, en armant la résistance afghane contre les troupes soviétiques. D’abord, Ben Laden est parti en Afghanistan parce qu’il était déjà un radical convaincu. Ensuite, la résurgence de la notion de Jihad n’a pas attendu la livraison des missiles Stingers mais s’est faite très vite, dans la pétaudière islamiste de Peshawar et d’autres lieux névralgiques du conflit afghan. Enfin, les Etats-Unis ont largement sous-traité à l’Arabie Saoudite et au Pakistan le soutien à la résistance afghane. Là réside incontestablement leur erreur : ne pas avoir vu leurs alliés souffler sur les braises d’un radicalisme qui ne demandait qu’à s’enflammer. Les deux derniers chapitres, une centaine de pages, portent sur la manière dont l’Administration Bush a conduit la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre. Les critiques sont classiques et bien connues : insuffisance des moyens consacrés à la capture de Ben Laden et à la stabilisation de l’Afghanistan, détournement de l’effort en attaquant l’Irak, poursuite des attentats de Bali à Casablanca et Madrid. Même s’il est difficile de ne pas être d’accord là dessus avec Jonathan Randal, tant les errements de cette politiques furent d’emblée évidents et leurs conséquences aujourd’hui catastrophiques, on est bien obligé de constater qu’il s’égare un peu et s’éloigne de son sujet. Le livre est paru quelques mois avant l’élection présidentielle de novembre et la réélection de George Bush et l’auteur a également voulu participer au débat intérieur sur le bilan du président sortant. En définitive, l’un des constats les plus intéressants du livre est qu’il est difficile de saisir le phénomène Ben Laden. On peut le cerner, mais pas vraiment le pénétrer. Antoine Picardat ( Mis en ligne le 24/12/2004 ) |
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