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Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

Les Armes secrètes de la CIA - Tortures, manipulations et armes chimiques
de Gordon Thomas
Nouveau monde 2006 /  24 €- 157.2  ffr. / 455 pages
ISBN : 2-84736-174-X
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

Traduction de Valérie Clouseau et Mickey Gaboriaud.

Mieux que Tom Clancy ?

La CIA, ses desseins mystérieux, ses hommes de l’ombre en feutre mou et trench-coat, ses méthodes plus ou moins légales, sa mystique de l'obédience qui ferait passer le vœu d’obéissance des jésuites pour une promesse de môme… On imagine tout, et même le pire : on se doute que ce qui se passe à Guantanamo, ou dans les avions qui sillonnent l’espace aérien européen n’est pas tout à fait légal, ni moral. La guerre contre le terrorisme justifie tout, semble-t-il… Mais lorsque le président américain pousse le cynisme jusqu’à dire que son gouvernement à les mains propres, il y a de quoi douter un peu. Et bien Gordon Thomas, comme nombre de journalistes d’investigation, doute. Et, remontant une piste assez improbable, il dévoile des pratiques du temps de la guerre froide, qui relèvent plus du terrorisme que de la raison d’Etat. Bienvenu dans un monde où les armes chimiques bactériologiques sont accessibles et utilisables, où le contrôle mental est en cours d’élaboration, où les psychotropes servent à dominer les consciences, où des armes ethniques (programme sunshine) sont presque opérationnelles. Vous le pressentiez : Gordon Thomas le révèle !

Tout commence par un suicide bizarre, celui d’un scientifique, Frank Olson. Très vite, son fils se convainc qu’il s’agit plutôt d’un meurtre… mais en enquêtant, il remonte les fils d’un gigantesque projet d’armes chimiques et de contrôle mental par lavage de cerveau (MK Ultra) élaboré au temps de la guerre de Corée par la CIA à fort Derrick, commandité par des officiels comme Cheney, Bush ou encore Rumsfeld. Sous les ordres d’une sorte de Mengele américain, le docteur Sidney Gottlieb, Frank Olson aura œuvré pour rendre ce monde plus menaçant (en terme de virus) qu’il n’était, sans hésiter sur l’utilisation de cobayes humains ou d’armes à la James Bond. Si pour Olson junior, la légende du bon père de famille en prend un coup, le mythe de l’Amérique heureuse qui gagne dans les règles est encore plus écorné. Et Gordon Thomas, qui croise la piste de Olson fils, se lance à son tour dans la quête de la vérité, sur la trace d’un agent bien informé, William Buckley. Et la vérité le mène loin, du côté du Hezbollah (où un transfuge de la CIA, le docteur Al Aboub, se livre aux mêmes recherches pour le compte du mouvement terroriste), au Vietnam… Et de la guerre froide (les Russes ont les mêmes projets), on passe à l’après guerre froide et au 11 septembre.

La quatrième de couverture nous apprend que Gordon Thomas est «un journaliste d’investigation mondialement réputé»… Il ferait aussi un bon scénariste (il explique d’ailleurs, page 418, que les recherches qui ont abouti à ce livre étaient dans un premier temps motivées par un scénario…), et un meilleur auteur de thriller. L’ouvrage est amusant à lire, comme un bon polar. Il y a tout ce qu’il faut : un meurtre mystérieux, un fils qui enquête sur le destin d’un père idéalisé, un noir complot qui touche les plus hautes sphères du pouvoir et Washington, des armes secrètes et totalement interdites, des terroristes fous, des agents secrets (fous aussi !)… Bref, de quoi faire un bon blockbuster… Le style est également très romancé : on est à mi chemin du récit et du reportage, avec une dramatisation parfois amusante, mais qui ne rend pas forcément l’ensemble toujours crédible. Au final, on se dit qu’il y a sûrement beaucoup de vrai, et pas mal de vraisemblable… En effet, Gordon Thomas ne s’embarrasse pas de preuves, de sources (il cite des conversations, des comptes rendus, des documents, le tout sans origine clairement établie). Certes, quelques-unes sont reproduites… mais qui laissent franchement dubitatif comme ce manuel d’assassinat de la CIA...

Si l’on sait bien que l’Amérique, comme tous les Etats, sait passer outre la légalité et les droits de l’homme («les promesses n’engagent que ceux qui y croient», dit-on), encore est-il bon de savoir dans quel but, et par quels moyens. Gordon Thomas livre sur ce sujet un ouvrage intrigant, mais pas toujours convaincant (est-il toutefois possible de trouver des sources en ce domaine ?). Bref, et pour reprendre un adage romain, «se non è vero, è ben trovato». A lire d’un œil critique. Et si la réalité dépassait la fiction ?

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 19/06/2006 )
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