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Histoire & Sciences socialeset Géopolitique  

Le Chemin de Damas - L'avenir d'un peuple
de Collectif
Le Temps des cerises 2007 /  15 €- 98.25  ffr. / 227 pages
ISBN : 978-2-84109-664-0
FORMAT : 14,0cm x 20,0cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).

Qui veut la peau de la République arabe syrienne ?

Comme ils l’ont fait l’année dernière à l’issue d’une mission d’enquête au Soudan, des écrivains et journalistes adhérents (ou proches) de l’Appel franco-arabe, une association au service du dialogue transméditerranéen, publient cette année aux éditions Le Temps des Cerises un compte rendu de visite en République arabe syrienne.

La démarche s’inscrit dans une volonté délibérée et affichée de contrer ce que les auteurs appellent le «déferlement des discours simplistes» à l’encontre de la Syrie dans les grands médias occidentaux, et de re-situer ce pays dans l’héritage historique qui est le sien, pour mieux mettre en valeur son droit à définir son propre avenir, sans ingérence des grandes puissances étrangères.

Après un rappel historique, sous la plume de Jean-Pierre Bastid, du glorieux passé de la Syrie antique, et de la difficile émergence de son identité et de sa souveraineté après la colonisation ottomane et française, Bruno Dweski dresse l’état des lieux d’une économie syrienne à la croisée des chemins, sous la houlette d’un parti Baas (Baath) à la fois soucieux d’ouvrir le pays aux apports du capitalisme international et de conserver les acquis du socialisme d’Etat en termes notamment d’indépendance nationale. Il salue la créativité du modèle endogène de développement syrien dont il trouve une illustration dans la réforme du système bancaire de janvier 2004 qui dé-bureaucratise les institutions financières sans les livrer pieds et poings liés aux grands groupes internationaux. Les aspects sociaux et «sociétaux» de la réalité syrienne sont soigneusement abordés : Patricia Latour souligne l’importance des femmes dans les postes publics de l’Etat syrien ; Pierre Lévy met l’accent sur le rôle de la Fédération générale des travailleurs de Syrie (Fédération syndicale officielle) dans la défense des intérêts des travailleurs – une Fédération autrefois liée aux syndicats d’Europe de l’Est, et qui semble investir aujourd’hui dans l’altermondialisme ; Sliman Doggui examine les avantages et inconvénients de la gratuité des soins hospitaliers syriens après la visite de deux établissements.

L’ouvrage tranche avec la tonalité souvent hostile des grands médias occidentaux à l’encontre de la Syrie. Pour autant il ne cherche nullement à idéaliser le régime de Damas. Ses auteurs ont rencontré des opposants, notamment Habib Issa, récemment libéré de prison.

Au détour des subtilités de leur approche, le lecteur apprend des données factuelles que la rhétorique de l’«axe du mal» tend à dissimuler. Par exemple qu’au sein du Parlement syrien siègent des islamistes conservateurs, proches du Hamas palestinien, qui ne partagent en rien l’idéal socialiste affiché par la constitution du pays. Ou encore qu’un enjeu important du régime syrien aujourd’hui est de réfléchir à une réforme politique qui permette d’intégrer davantage à son système les courants d’opinion fortement implantés dans la population comme justement l’Islam politique. On comprend, à la lecture de ces éléments, que la problématique de la démocratisation de la Syrie est une équation compliquée, posée à ses propres dirigeants dans le cadre d’un système de contraintes objectives qui inclut les ingérences étrangères, l’état de guerre, le risque d’irruption de mouvements extrémistes et d’éclatement communautaire comme en Irak, là où l’intégrité de l’Etat syrien et la possibilité même de conserver la paix civile sont en péril.

Le puzzle ainsi composé donne une idée à la fois du potentiel et de la fragilité de ce pays de 19 millions d’habitants, sans cesse soumis aux pressions israéliennes et occidentales, sommé d’accepter ce que les auteurs appellent une «démocratisation à l’américaine» qui ne prend pas en compte sa réalité sociale profonde (à noter dans ce livre l’article de Sliman Doggui et Yves Vargas sur l’instrumentalisation de l’affaire Hariri contre Damas, une démonstration qui rejoint celle du dernier livre de Thierry Meyssan). A l’heure où le Journal des Forces armées (numéro de juin 2006) américaines publie la carte d’une Syrie redécoupée - à défaut que les néo-conservateurs aient la certitude de pouvoir imposer une de leurs créatures (comme le marchand d’armes Farid N. Ghadry) à la tête du gouvernement syrien -, on voit que les baasistes au pouvoir marchent véritablement sur des œufs.

Finalement, dans l’interview qu’il a accordée aux auteurs du livre, et qui est publiée après leurs chapitres, le président Bachar El-Assad apparaît moins comme l’héritier du socialisme arabe, théorisé par Michel Aflak, que comme un politicien pragmatique, déçu par le ralliement de la France à Washington, et qui semble presque résigné à l’hégémonie culturelle anglo-saxonne dans le monde. Au moins la lecture du livre des enquêteurs français permet-elle de mieux comprendre les raisons de sa prudence…

Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 20/07/2007 )
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