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Comédie française
de Georges-Marc Benamou
Fayard 2014 /  19 €- 124.45  ffr. / 328 pages
ISBN : 978-2-213-67845-0
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm

L’enfant prodigue ?

Georges-Marc Benamou est une figure de la gauche culturelle, l’interlocuteur talentueux de Mitterrand, de Rocard. Journaliste, il sut, avant de s’orienter vers le récit historique, livrer des ouvrages à la fois subtils et bien écrits, passionnants donc, sur la gauche, ses courants, ses batailles et ses grands fauves. Aussi nombre de ses lecteurs furent-ils un peu interloqués de le retrouver dans la dream team du candidat Sarkozy, puis installé à l’Elysée comme conseiller audiovisuel. «Qu’allait-il faire dans cette galère ?», disait-on alors avec une pointe de dépit : rallié, comme d’autres (Kouchner, Besson, Hirsch) au nom d’une stratégie d’ouverture qui envisageait de ratisser large dans le pré socialiste, Benamou faisait figure d’opportuniste. Sèchement éjecté en 2008, il livre, après quelques années, son témoignage, son commentaire et, plus largement, sa vérité dans Comédie française… Retour de l’enfant prodigue ?

Car il avait une plume, Georges-Marc… une plume et un regard dont on retrouve avec bonheur le côté affûté et l’aisance sereine. D’emblée on peut dire que cet ouvrage, qui se dévore, est une manière de retrouvailles avec un journaliste politique qui a passé sa crise d’ado. Car il y avait un côté ado flatté dans son recrutement par Sarkozy : Benamou, qui aime côtoyer les grands fauves politiques, s’est fait, à son tour, débusquer par le candidat Sarkozy. Entre les deux, c’est une sorte de coup de foudre : Sarkozy cherche un «électron libre» et Benamou, flatté donc, décide de jeter sa gourme politique aux orties. Le voilà dans l’équipe, le cercle proche, inspirateur de formules victorieuses («Ensemble !») et observateur – faussement candide – du panier de crabe.

On croise en effet du beau monde, à commencer par le candidat lui-même, Nicolas Sarkozy, portraitisé en véritable animal politique, instinctif, efficace, charismatique… un animal qui, une fois entré dans la cage élyséenne, voit ses qualités de candidat se muer en défaut de souverain : impulsif, divisant pour régner, plus inquiet de son image que de son bilan, terriblement inféodé à la reine Cécilia et à sa coterie, et à ses avis en forme de couperets. Et le système de cour fonctionne à fond, avec d’une part le cercle des proches de Cécilia, et de l’autre «la firme».

La campagne ressemble en effet autant à un duel (ou une succession de duels, au sein de l’équipe même, au sein de l’UMP, du gouvernement Raffarin, etc.) qu’à une manœuvre collective. Sous les yeux de l’auteur, on mesure la manière dont le drame intime du candidat (sa séparation) peut peser sur ses choix, ses humeurs, oblitérer son instinct, diviser ses troupes. On assiste aux petits éclats et aux grosses manips (tel ce triste Ministère de l’identité nationale… au bluff !), on découvre parfois le peu d’épaisseur des convictions économiques (le duel Mignon-Guaino), on s’interroge sur les premiers temps du règne (il y eut une alternative – monastique – au Fouquet’s)… et on assiste au triomphe… puis à la chute.

La période élyséenne est tout autant passionnante, entre l’ombre sinistre de Guéant – le même sicaire vertueux qui mettra dans sa poche, quelques années plus tard, les fonds secrets de son ministère – et la folie colérique d’un Guaino. Surtout, on découvre la machine élyséenne, le premier cercle d’un pouvoir qui ne se délègue pas, autour d’un «Nicolas» de plus en plus isolé, drogué au sondages et paradoxalement coupé des réalités. Installé dans le bureau de J. Foccart, l’auteur prend progressivement la mesure des aspects régaliens du pouvoir présidentiel, autant que la réalité de la «politique politicienne». L’image du premier cercle, et du président lui-même, ne sort pas grandie de ce réquisitoire solide, et presque ironique. Les petits calculs, les jalousies, les mesquineries priment sur l’intérêt national, et les egos des uns et des autres se nourrissent, à peu de frais, sur le dos de la République. Et comme dans tout système de cour, il faut aussi des cabales, des boucs émissaires et des exils. Georges-Marc Benamou finit par quitter, dans la souffrance, les ors du palais. Rideau donc, mais si le courtisan chute, le journaliste et grand témoin renaît !

Alors oui, parfois, Benamou agace, en posant un peu facilement en Candide de la politique, confrontés aux vrais durs, aux vrais fauves… Mais cette Comédie française est un vrai plaisir de lecture, d’analyse, de portraits ciselés à la psychologie parfois assassine, de tableaux de groupe et de réflexions sur la stratégie politique : le retour réussi d’une belle plume journalistique.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 19/11/2014 )
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