L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Lettres du couloir de la mort
de Joseph Kitchens
Arléa 2001 /  16.79 €- 109.97  ffr. / 200 pages
ISBN : 2869595484

Traduit de l'anglais (américain) par Suzanne Bourjade-Larrieu

Chronique d’une rédemption

Septembre 1986. Condamné à mort pour le meurtre et le viol d’une jeune femme à Abilene (Texas), Joseph Kitchens, 23 ans, est incarcéré à la prison de Huntsville. A cette date, le Texas détient, déjà, le triste record du nombre d’exécutions capitales.
Depuis sa cellule dans le couloir de la mort, Kitchens va entretenir plusieurs correspondances et fait ainsi la connaissance, en 1996, de Suzanne Bourjade-Larrieu, professeur d’anglais à la retraite et membre de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture). Cet ouvrage est une restitution de cet échange – unilatérale, puisque seules les lettres de Joseph sont retranscrites dans leur intégralité, entrecoupées de résumés ou d’extraits des réponses de Suzanne. La traduction, assurée par Suzanne elle-même, en respecte l’authenticité, le caractère direct, sans enjolivements ni fioritures.
Et c’est ce qui fait la force de ce témoignage. Impossible en effet de pénétrer dans cet échange sans se dire que l’on résistera à toute velléité d’attendrissement. Impossible, semble-t-il, d’éprouver la moindre compassion pour un homme dont le crime dépasse l’entendement. Son acte révulse, horrifie.
Et pourtant… Au fil des lettres, on en vient à éprouver de l’empathie pour cet homme et de la considération pour cette amitié que l’on sait, à l’instant même où elle se noue, condamnée, elle aussi. De ce qui aurait pu n’être que la morbide « chronique d’une mort annoncée », on retient surtout la délicatesse et la pudeur avec lesquelles Joseph confie ses doutes, ses angoisses ; la lucidité de ses introspections ; la richesse croissante de son échange spirituel avec Suzanne ; son stoïcisme pour affronter un quotidien jalonné d’espoirs déçus, d’attentes, de frustrations. Et on ressent de l’écœurement devant les humiliations subies par un homme dont la condamnation est déjà, en soi, absolue. La perversité de ce système n’est pas seulement sa finalité mais aussi la torture par l’espérance qu’il implique.
Qu’on ne s’y trompe pas : le propos de ce livre n’est pas de remettre en question la culpabilité de Joseph Kitchens. C’est même un sujet qui, à l’initiative du condamné, n’est jamais abordé dans ces lettres. La question reste celle de la sanction. Joseph est puni, et à juste titre. Mais la condamnation qui lui est infligée est-elle légitime ? Pouvons-nous nous faire juge de la vie d’un homme, son crime fût-il le plus horrible qui soit ?
Si cet ouvrage ne répond pas à ces questions, il a le mérite de les susciter, à une époque où la première puissance économique mondiale est aux mains du plus ardent défenseur de la peine de mort. Lettres du couloir de la mort est, à ce titre, exemplaire, puisque le parcours de ce condamné est aussi celui des 722 exécutés depuis la réhabilitation de la peine de mort aux Etats-Unis (1977).
Joseph Kitchens fut exécuté par injection létale le 9 mai 2000, à l’âge de 37 ans, après avoir passé presque la moitié de sa vie dans le couloir de la mort. Cette correspondance, qui accompagna les quatre dernières années de sa vie, transforma ce criminel en homme serein, prêt à mourir pour un acte commis quatorze ans plus tôt.
Si le but de cet ouvrage était de nous prouver qu’en terme de conscience l’absolu n’est pas à notre portée , il y est parvenu avec force.


Louise de Prémonville
( Mis en ligne le 26/09/2001 )
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