L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Octobre 1961 - Un massacre à Paris
de Jean-Luc Einaudi
Hachette - Pluriel 2011 /  12 €- 78.6  ffr. / 635 pages
ISBN : 978-2-01-279543-3
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en octobre 2001 (Fayard)

Édition revue et augmentée


Tombeau pour 200 ''morts mythiques''

Voilà aujourd’hui 25 ans que, presque seul, Jean-Luc Einaudi a entrepris d’honorer tous les morts de l’épouvantable ratonnade dont Paris fut le théâtre dans la nuit du 17 octobre 1961 - des hommes, Algériens pour la plupart, protestant sans armes contre le couvre-feu. Ils furent bastonnés, abattus, noyés ou jetés en terre sans sépulture. Aucune inculpation n’a jamais atteint les auteurs de ce meurtre collectif. Bien au contraire, c’est Maurice Papon, préfet de la Seine à l’époque, qui s’en est pris à Einaudi.

La journée du 17 octobre 1961 reste sans doute l’événement de l’histoire récente le moins connu des Français – au point que, lors du procès de Papon, en octobre 1997, son avocat le confondait encore avec la “bousculade” meurtrière de Charonne, en février 1962. Michel Debré, dans ses mémoires, avait commis le même amalgame. En 1991, dans sa Bataille de Paris, Jean-Luc Einaudi rendait leurs noms à ces anonymes enfouis dans les fosses communes du cimetière de Thiais. Son enquête portait brutalement le nombre de victimes de ces journées de 3 ou 4 (chiffres officiels jusqu’en 1998) à 200 ou 300. A cette horreur s’ajoutait l’empressement cynique à organiser l’oubli, à empêcher ce crime de peser sur la conscience nationale. Il ne fut pas longtemps possible de cacher, en Algérie, les actes de torture généralisée ; mais, en plein Paris, on a pu précipiter des Algériens dans la Seine sans que l’opinion s’en émeuve outre mesure. Impassible, Papon continua de marchander le nombre des morts contre l’évidence des faits.

Dans la longue introduction de cet ouvrage, Jean-Luc Einaudi montre quelles difficultés il a traversées pour se faire ouvrir les archives policières et administratives, et opposer aux dénis et mensonges de Papon la crudité des faits. Certes, il est probable que ce «massacre en plein Paris» ne fut pas prémédité et que la police obéit autant aux ordres qu’à la peur. Pour autant, la gestion “rationnelle” de ces débordements fait froid dans le dos : ramassage des cadavres, regroupement des manifestants, tabassages à coups de marteau, humiliations abjectes…

Papon a toujours plaidé que les morts d’octobre 1961 furent les victimes de la guerre interne entre mouvements indépendantistes que se livraient le MNA et le FLN. Cette explication, parce qu’elle n’était pas inconcevable, a longtemps tenu lieu de vérité. Mais – et c’est toute la force de ce livre – les documents, et notamment les témoignages de policiers et de fonctionnaires, prouvent simplement qu’elle est fausse.

Dans une interview donnée en 1994 au Quotidien de Paris, Papon évoquait avec sa morgue habituelle les «morts mythiques d’octobre 1961». Ce mythe a hélas survécu à son inventeur.

Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 08/11/2011 )
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