L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

La France orange mécanique
de Laurent Obertone
Ring 2013 /  18 €- 117.9  ffr. / 349 pages
ISBN : 979-10-91447-03-4
FORMAT : 14,3 cm × 22,1 cm

Xavier Raufer (Préfacier)

Polémiques et raccourcis

Avec sa couverture orange et son titre qui renvoie au film de Stanley Kubrick, l'essai de Laurent Obertone a fait fureur. Un constat par les chiffres tout d’abord : «L'ensauvagement d'une nation. Toutes les 24 heures : 13000 vols, 2000 agressions, 200 viols" ; et un sous-titre : "Nul n'est censé ignorer la réalité". Les cibles de Laurent Obertone sont la France multiculturelle, la théorie de l'excuse, le laxisme de la justice, le manque de place dans les prisons et la théorie de l'égalité, le moralisme des bien-pensants enfin. Le livre retrace une multitude de faits divers tirés de la presse parisienne ou provinciale, toujours minutieusement notés. C’est la grande force du livre : les faits sont têtus.

D'où lui proviennent les chiffres ? De l'Observatoire national de la délinquance (OND), d'après une enquête en 2005 de l'INSEE et de l'OND. Cette délinquance serait trois fois supérieure aux chiffres officiels constatés. Selon cette étude, il y aurait plus de 9 millions d'atteintes aux biens sur douze mois. Quatre millions de personnes ont déclaré avoir été victimes d'au moins une agression (12 millions d'infractions). "En un an, 1,5 million de personnes portent plainte pour vol, quand 4,7 millions de personnes disent avoir été volées. 13000 par jour. Les enquêtes de victimisation recensent également, chaque jour, 2200 agressions physiques et 200 viols. Chaque jour". Bien sûr, il doit y en avoir plus car chaque victime ne porte pas forcément plainte. Laurent Obertone publie un tableau qui montre le taux de criminalité française de 1830 à 2010. La criminalité a bel et bien augmenté, surtout dans les années 50 avec l'intensification progressive de la mondialisation. Alors que la courbe des faits constatés était inférieure à la courbe démographique, c'est l'inverse maintenant depuis les années 1995-2000.

Premier problème, au-delà du constat : pourquoi les chiffres officiels sont-ils nettement inférieurs à ceux de l'OND ? Cela devrait poser question. Ces chiffres réels sont nettement alarmants et remettent sérieusement en question le climat festif et serein en France. Second problème : pourquoi cette violence qui s'est quantitativement accrue s'exprime-t-elle qualitativement avec une intensité rare ? Le livre relate des faits proprement épouvantables. On ne peut les nier ou les rejeter pour cause de sensationnalisme. On pense aussi ici aux films de Michael Haneke, comme Funny Games (1998). Le réalisateur y faisait lui aussi ce constat vis-à-vis de la sauvagerie de certains individus, de plus en plus jeunes par ailleurs.

L'enjeu qui est posé est au fond assez simple. Comment faire régresser la délinquance et que les citoyens puissent se sentir relativement à l'abri ? Laurent Obertone prône une justice impartiale et forte, cessant d'excuser, de relâcher moult criminels ou récidivistes. Les exemples qu'il donne sont probants et inquiétants. Qu'il y ait des causes (sociales, familiales, psychologiques...) est une explication certes nécessaire et cruciale à mettre en lumière mais quand le fait est avéré et grave, il n'y a en l'espèce aucune raison pour que le criminel reste impuni ou ne fasse pas de prison, en jouant sur les remises de peine. Cela donne-t-il une image impartiale de la justice ?

Sans doute - et le fait ne date pas d'aujourd'hui - la société a-t-elle eu toujours tendance à trouver des causes diverses pour «excuser» de tels actes. Laurent Obertone cite, entre autres, deux acteurs connus, Joey Starr et Samy Naceri, auteurs tous les deux de coups et blessures et de violences conjugales, au casier judiciaire chargé, et multi-récidivistes. Le second est condamné le 28 avril 2011 à 16 mois de prison ferme mais une peine aménagée lui permet de ne pas retourner immédiatement en prison. Laurent Obertone cite ainsi des dizaines de cas similaires qui ne procurent pas franchement un sentiment de justice ou de sécurité. Un épiphénomène ? Une stigmatisation ? Mais pourquoi cela arrive-t-il autant ?...

Le troisième problème soulevé est celui du Front National. On sait que Marine Le Pen a ouvertement fait état du livre. Les âmes ''morales'' crient alors à la «lepénisation des esprits» mais soit le Front National est dangereux et il faut l’interdire, soit il est légitime démocratiquement et il ne sert à rien de le brandir comme épouvantail par rapport à de tels faits. L'auteur écrit à ce propos : «Le Front national de Marine Le Pen ne propose rien qui permette de sortir de la spirale à emmerdements : en souhaitant réserver les prestations sociales aux Français (et même les augmenter), il ne fera qu’amorcer la fabrication de sous-sociaux bien de chez nous, made in France. Ses solutions pour trouver de l’argent, payer les prestations sociales, relancer le pays ? Faire payer les riches. Hormis un discours cohérent sur la sécurité, l’immigration et l’espace Schengen, son programme relève du gauchisme social, l’origine de beaucoup de nos maux. Ne parlons pas des groupuscules «actifs», certains identitaires et ultras, parfaits repoussoirs accaparés par leurs querelles de chapelle et une communication sans logique, opposant fromages et blasons au sauvetage d’une nation».

Il est évident que Laurent Obertone, en s’attaquant férocement et d'une manière globale aux journalistes, aux psychologues, aux universitaires, etc., ne va pas se faire des amis. Il accuse à de nombreuses reprises ce qu’il appelle la «compétition morale», c’est-à-dire le fait de recouvrir de moralisme (théorie de l’égalité, antiracisme obsessionnel, etc.) la réalité des faits. De surcroît, on pourrait citer Nietzsche, Schopenhauer et d'autres philosophes ou des romanciers (Marcel Aymé, Maupassant) de renom qui se font tout aussi radicaux face à de tels crimes ou à l’égalité. Pour Laurent Obertone, cette compassion doit se faire au nom des victimes et non des coupables.

Le point qui fait le plus bondir est le lien établi ici entre la criminalité et l’immigration, principalement maghrébine et subsaharienne. Jamais l’auteur ne dit que cette immigration est intrinsèquement ou d’essence criminogène, ce qui serait raciste. À ce titre, regrettant que la réalité des chiffres soit ainsi, il cite les autres pays d’Europe, chiffres et enquêtes à l'appui, qui, à l'ère de la mondialisation, font face à de mêmes problèmes. Il est par ailleurs étonnant que la presse ait peu remarqué que le film de Jacques Audiard, Un prophète, truffé de récompenses, montrait des corses et des hommes d’origine maghrébine largement représentés dans les prisons de Marseille. Ajoutons que la lutte antiraciste ou l'idéologie multiculturaliste n'ont jamais fait reculer les problèmes, pas plus que le Front National, depuis trente ans. Et si le problème était au-delà de la politique politicienne ?...

Laurent Obertone accuse d'ailleurs les politiques de ne pas endiguer une telle situation, la gauche parce qu'elle est paralysée par cette "compétition morale" et la droite car le phénomène la sert électoralement. Ce problème, d’après Laurent Obertone, viendrait, outre les causes sociales, de ce que l’on «force» des personnes aux origines précises à adopter nos mœurs en pensant que cela sera forcément bénéfique et résoudra de fait cette équation existentielle. On se demande en quoi telle ou telle ethnie serait par définition «compatible» avec une autre civilisation compte tenu de l’infernale rivalité que les hommes développent déjà entre eux à l’intérieur de leur pays (rappelons les guerres fratricides dans l’ex-Yougoslavie). À ce propos, l'auteur rappelle qu’un immigré doit se conformer aux lois de la république dans laquelle il arrive et non faire comme il l’entend. Si l’on ajoute un certain laxisme de la justice, la misère sociale, la déculturation grandissante, on risque de créer une situation explosive. L’auteur analyse d’ailleurs peu l’influence du libéralisme actuel qui lamine les cultures, déracine les hommes, prône un jeunisme excessif, jette les gens dans des situations précaires et dans une anorexie existentielle qui ne peuvent déboucher que sur la violence.

Le livre d’Obertone analyse beaucoup de faits, cite beaucoup de chiffres, disserte longuement sur la nature humaine. Mais il mérite discussion. Le problème de départ n'est-il pas de croire en une mirifique nature humaine, capable de s’adapter à tout, de vivre de respect, d’amour et de fraternité simplement en usant de la raison ?... Ce que l’on peut reprocher au livre n’est pas d’induire telle thèse mais de ne pas circonscrire un sentiment de revanche ou de vengeance devant le laxisme de cette justice. C’est-à-dire de ne pas mettre en garde contre des méthodes expéditives ou criminelles inverses tout aussi injustes. Quand Laurent Obertone parle du bouc émissaire, il reste court. Le bouc émissaire, dit-il, «est essentiel à la construction identitaire», reconnaissant ainsi que l’on a tous des boucs émissaires. Le livre parle au fond d’un vieux thème qu’il ne cerne qu’à moitié : le mal. Si l'on veut l’endiguer ou le freiner, il ne faut pas céder aux deux extrêmes qui menacent toute civilisation : l’indulgence comme le ressentiment.

Le livre de Laurent Obertone est donc un livre nécessaire, puisqu’il fait débat et suscite la polémique. Il reste critiquable par certains raccourcis mais le couvrir tout de suite d’opprobre est un des plus sûrs moyens de ne pas penser.

Yann Leloup
( Mis en ligne le 12/07/2013 )
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