L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Le courage de réformer
de Claude Bébéar
Odile Jacob 2002 /  25 €- 163.75  ffr. / 430 pages
ISBN : 2-7381-1154-8

(Collectif)

Réconcilier la France avec son avenir

La nécessité des réformes à engager pour que la France puisse relever avec succès les nouveaux défis d'un monde en changement est l'une des préoccupations les plus importantes sur l'agenda des forces politiques et sociales du pays. Avec Le courage de réformer, Claude Bébéar a voulu offrir une réflexion orientée vers la détermination de solutions concrètes aux problèmes soulevés par les restructurations en cours, qu'il s'agit d'identifier et d'analyser avant de pouvoir les résoudre.

L'ambition est donc très bien dessinée : il ne s'agit pas, ou pas seulement, d'une énième réédition de la description du mal français. Le but est plutôt d'offrir un programme concret d'action pour en guérir. Dans cet esprit, chaque chapitre s'achève sur la recommandation d'une série de mesures pratiques qui pourraient être mises en oeuvre, ce qui donne un style particulièrement original à l'approche retenue.

De plus, Claude Bébéar a choisi le pluriel d'un livre collectif pour donner la parole à des personnalités venues d'horizons très divers, université, haute fonction publique, affaires. Entreprise inédite, dans un pays où ces mondes sont souvent clôs sur eux-mêmes, et dans un paysage éditorial où les livres collectifs sont relativement rares. On commence juste à en découvrir les avantages pour les productions universitaires ; mais pour un livre destiné à un public élargi, ce qui est le cas du Courage de réformer, le pari est insolite, et en l'occurrence, il se voit brillamment remporter : sans rebuter les spécialistes des questions politiques, économiques et sociales - ni la précision ni le niveau de l'information ne se trouvent sacrifiés - ce livre trouvera un écho chez les citoyens concernés par les évolutions qui affectent leur nation et veulent disposer des outils propres à les analyser. Aussi bien, l'ouvrage ne comporte que peu de notes infrapaginales, et n'offre pas de bibliographie (on le regrettera, d'ailleurs, car cela aurait été un excellent complément aux recommandations de chaque chapitre).

L'horizon embrassé est très large. Ouvrant sur la question de l'intégration des immigrés en France (Malek Boutih interviewé par Henri Hude), le livre se ferme en miroir sur l'ambivalence et les contributions du rôle international du pays : de l'impact du monde sur la France à la place de la France dans le monde, en quelque sorte... La construction rigoureuse des chapitres se distribue sur quatre parties, successivement intitulées «l'intégration et la construction sociale», «l'activité et la protection sociale», «un Etat pour le citoyen», «Une France dans le monde».

Certes, ce large programme n'est pas tout à fait neuf : il s'inscrit dans un courant réformiste très présent dans le pays, qui insiste sur la nécessité de restructurations radicales dans de multiples domaines. Le point de vue, plutôt libéral et conservateur à quelques exceptions près, s'attache à un diagnostic très clair : un Etat trop et mal présent, des politiques publiques qui ne pourront être soutenues longtemps sans conduire à une dégradation réelle de l'économie et de la «cohésion sociale», des marges insuffisantes pour l'initiative privée en «libérant l'activité et l'emploi» (Michel Godet) ou en libérant l'entreprise (Claude Gimont)... tels sont les thèmes récurrents au fil des chapitres. En revanche, le progrès social, l'idée qu'il faut encore développer les politiques publiques par exemple dans le domaine social, la solidarité comprise comme effort fiscal collectif, toutes ces conceptions qui font partie du fond «social démocrate» français, se voient sévèrement critiquées. Ainsi, la base de la réflexion menée entremêle la critique de l'état présent de la société, et la volonté pragmatique d'une transformation pour le futur.

L'ensemble, très nourri, n'en laisse pas moins apparaître quelques lignes de concentration. La plus importante est sans doute l'éducation : l'interrogation sur sa place dans un univers en perpétuel changement, notamment sous le coup des progrès techniques et scientifiques, traverse de bout en bout la réflexion. L'enjeu se concentre sur l'enseignement supérieur dont Alain Mérieux et Daniel Laurent nous rappellent qu'il est le parent pauvre des politiques éducatives - et peut-être plus radicalement dans les politiques publiques - françaises, financé à hauteur de 1,5% du PIB en France (contre 3% aux Etats-Unis qui sont devenus la référence en matière universitaire dans le monde). Ce n'est pas un hasard si au dernier paragraphe du livre, Ezra Suleiman, en politiste américain amoureux de la France, en appelle à la mise à niveau des établissements d'enseignement supérieur français afin qu'ils «contribuent à former une fraction significative de l'élite mondiale». On insistera particulièrement sur le sens d'une telle remarque : l'influence, notamment culturelle, de la France ne passe pas par l'affirmation abstraite d'idées prétendues universelles, mais bien par la capacité de l'enseignement supérieur français à en prouver l'intérêt, et même la séduction.

Lié à ce problème, mais à un niveau plus large, se situe la question, si répétitivement débattue en France, de la réforme d'un Etat dont il n'est pas difficile de montrer le caractère exceptionnellement présent pour un pays d'économie développée. Pourtant, alors que «plus de la moitié du PIB est absorbée par les dépenses publiques» (Armand Laferrère), les politiques de réforme demeurent timides. Ainsi, la population des fonctionnaires, vieillissante, va connaître des départs en retraite massifs, mais l'Etat ne projette ni de recruter autrement, en développant l'emploi contractuel, ni de recruter moins en bénéficiant des gains de productivité que l'informatisation permet. Encore doit-on reconnaître que si la réponse aux problème de société passe par un «toujours plus» en matière de service public, cela ne signifie pas forcément un «toujours mieux». On ne peut qu'être frappé d'apprendre dans le chapitre consacré à l'assurance maladie (Claude Le Pen) qu'en Ile de France, «on estime que 30% environ des centres de radiologie interventionnelle ne répondent pas aux critères de qualité édictés par les sociétés savantes de radiologie».

On comprend que l'on simplifierait exagérément les positions du livre en les réduisant à une bible «néo-libérale», ce qui n'est nullement le cas lorsqu'on lit l'étude consacrée à la citoyenneté (Alain-Gérard Slama), qui plaide pour un renouveau républicain ou qu'on prend connaissance des propositions hardies de Guy Carcassonne pour « moderniser la représentation politique».

Les problèmes soulevés sont réels, et l'on peut tomber d'accord sur bien des constats, même si l'on peut être en désaccord avec les solutions. Le chapitre sur l'enseignement, très complet du point de vue des sources, en offre un exemple. On peut être d'accord sur la nécessité de renforcer l'autonomie universitaire, mais si cela implique le renforcement des pouvoirs des chefs d'établissement, c'est une absurdité tant que l'éducation nationale ne cherche pas à payer à ses cadres une formation managériale de haut niveau... De même, il y a quelque incohérence à vouloir atteindre l'excellence scientifique, tout en critiquant des grandes écoles qui se situent au plus haut niveau, ou alors il faut abandonner le mythe d'une université de masse ouverte à n'importe qui sous le prétexte d'être accessible à tous...

Si l'on devait émettre une critique à l'égard de l'ouvrage, ce serait cependant moins en mettant en perspective des orientations, qui ont le mérite d'être claires, qu'en notant que les contributions négligent de prendre la mesure du modèle français, au nom d'une situation perçue comme menacée ou menaçante. Or, ce modèle existe bien, et donne des résultats : fort du développement de l'Etat, les services publics sont efficaces et non corrompus, et cela s'explique par le fort respect du fonctionnariat et une éthique propre du service de l'Etat.
De même, le capitalisme demeure stabilisé par des politiques sociales massives. On peut - pour reprendre à contre-pied l'expression de Marie-Anne Frison Roche à propos de la réforme de la justice - ne pas aimer un tel modèle ; mais il a le mérite d'exister et de donner des résultats d'apparence positive. Tant qu'on ne s'attache pas à souligner les points forts de la France, et notamment dans le domaine social, on ne parviendra pas à convaincre les Français de changements qui peuvent être perçus comme douloureux. La réforme en France s'accompagne trop souvent d'un discours sacrificiel - le mot «courage» dans le titre en porte le stigmate. Ici se révèle finalement la limite d'un tel livre, mais aussi de la plupart des perspectives liées au réformisme français. L'incapacité de distinguer entre les évolutions, souhaitables ou non, les réformes difficiles notamment pour ceux qui ont à y perdre, les restructurations violentes de l'économie mondialisée, les progrès réels que l'on peut accomplir ne relèvent pas seulement d'une bonne intelligence philosophique des problèmes. C'est encore moins une simple question d'habillage. C'est une question pratique et une urgence pour réconcilier la France avec son avenir sans sacrifier les gains du passé.

Thierry Leterre est professeur de science politique à l'Université de Versailles St Quentin
( Mis en ligne le 09/10/2002 )
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