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Moi, Vladimir Oulianov dit Lénine - Le roman du bolchevisme
de Alexandre Dorozynski
Le Cherche Midi - Documents 2001 /  16.79 €- 109.97  ffr. / 290 pages
ISBN : 2862748919
FORMAT : 154x240



Mémoires d’outre-tombe

Doit-on encore présenter Lénine ? Ou plutôt : comment apporter de nouveaux éléments sur l'une des plus célèbres figures du XXe siècle ? Hélène Carrère d’Encausse et Vassili Grossman, pour ne citer qu'eux, ont grossi la bibliographie consacrée au "grand homme" de travaux colossaux. D'autres auteurs l'ont abordé du point de vue psychanalytique, du point de vue trotskiste, etc. Mais aucun n'a jamais eu l'idée de raconter son histoire en se plaçant, si l’on peut dire, à l’intérieur de son sarcophage.

Alexandre Dorozynski, lui, a osé l'autobiographie-fiction. Sans complexe. Du reste, "toute biographie n’est-elle pas fiction, alimentée par des incertitudes, des préjugés, des erreurs et des omissions" ? S'il apparaît bien vite que son livre n’apporte pas grand-chose de neuf sur le plan factuel (les révélations se feront sans doute quand les archives soviétiques auront fini de « rendre » leur mètres cubes de papiers), on reste admiratif devant le tour de force littéraire. L'emploi de la première personne laissait d'abord craindre un traitement au mieux vulgarisateur - "Lénine raconté aux enfants" -, au pire fantasque. Il n'en est rien. Les repères sont justes, les appréciations et commentaires prêtés à Vladimir Oulianov vraisemblables. Enfin, les notes et renvois aux oeuvres de Lénine ou de ses contemporains sont pertinentes, mieux : brillamment utilisées, notamment lorsque d'autres personnages donnent leur propres opinions sur les événements relatés par Lénine. Le "roman du bolchevisme" devient ainsi polyphonie, et permet au passage à Dorozynski de tordre le cou à quelques clichés historiques. La parole donnée à Lénine permet aussi de mettre en lumière des éléments ailleurs négligés : le rôle des femmes, l’influence des premiers marxistes russes, etc. Au total, on envisage différemment l’homme d’octobre 1917, qui apparaît tout droit sorti du XIXe siècle, fécondé par Hegel, le socialisme et le positivisme.

Certes, envisager le bolchevisme par le prisme d’un seul personnage est une subjectivation peut-être extrême de l’histoire. Les marxistes purs et durs trouveraient cela peu scientifiques, eux qui ne jurent que par les forces sociales structurelles. Lénine peut-il être crédité d’avoir suscité la révolution, ou bien s’est-il contenté d’être le « right man in the right place » ? Dorozynski montre bien la conjonction de la volonté d’un homme et d’une situation historique dont il avait saisi quelques tendances fondamentales (l’échec du modèle social capitaliste). Plus encore, il démontre de façon convaincante l’intuition de Lénine, à savoir que la révolution est l’affaire d’une poignée de professionnels. Le fil rouge - évidemment - de ce livre est lié à l’action d'un homme du XIXe siècle dans le contexte d’un acte fondateur du XXe : l’irruption des masses en politique. Et le lecteur de chercher dans cette confession les traces du moment où cet homme implacable, passionné, sûr de sa mission, a été rattrapé puis dépassé par la réalité du totalitarisme.

Cette étonnante entreprise littéraire peut-être interprétée de diverse manières. Certains déploreront la "trivialisation" du sujet Lénine ; d'autres se réjouiront de voir voler en éclats les grilles de lecture idéologiques. Dans tous les cas, la prouesse stylistique de Dorozynski mérite qu'on s'y arrête.


Vianney Delourme
( Mis en ligne le 01/10/2001 )
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