L'actualité du livre
Essais & documentset Biographies  

L’Ange exterminateur - La vraie vie de Bernard Arnault
de Airy Routier
Albin Michel 2003 /  21.50 €- 140.83  ffr. / 423 pages
ISBN : 2-226-13550-2

Les affaires sont les affaires

Biographie non autorisée de Bernard Arnault par un maître du genre (on se souvient en effet que Airy Routier avait signé, en 1994, une « vraie vie » de Bernard Tapie, intitulée Le Flambeur), L’Ange exterminateur nous plonge dans les arcanes de la haute finance de ces trente dernières années, au travers de la constitution du groupe, devenu emblématique, LVMH.

Joli parcours en effet que celui de Bernard Arnault, fils brillant d’un petit industriel du Nord, devenu, en quelques années, après un séjour outre-atlantique, un géant incontournable du luxe mondial. Parcours propre et sans fautes pour autant ? C’est toute la trame de l’enquête conduite, en fin limier des pratiques capitalistes, par Airy Routier.

Les apparences se sont souvent avérées lourdement trompeuses sur notre financier de haut vol ! Polytechnicien d’une timidité confinant à l’autisme, au look BCBG jugé « ringard » dans les salons de la Banque Lazard, Bernard Arnault n’en a, pendant longtemps, pas beaucoup imposé... Faut-il y voir les raisons souterraines d’une inextinguible soif de revanche ? La mécanique intellectuelle de Bernard Arnault, puissante, reconnaissent pêle mêle amis et ennemis du patron de LVMH, séduit en tous les cas rapidement. Et lui ouvre très vite les portes capitonnées des banques d’affaires parisiennes, sans lesquelles toute aventure industrielle ou financière digne de ce nom n’est guère possible.

Soutenu ainsi par les principales figures de la Place, puis par les gouvernements de droite comme de gauche, la France des années 80 vivant encore largement à l’heure de l’économie administrée, Bernard Arnault peut enfin donner libre cours à ses ambitions démesurées. L’affaire Boussac, industrie nationalisée devenue cadeau empoisonné pour la gauche, constituera l’instrument privilégié de cette inexorable montée en puissance.

De petite affaire textile, avec certes la « pépite » Dior dans son portefeuille, Boussac, avec Bernard Arnault à sa tête, pénètre très vite dans le capital de Louis Vuitton-Moët Hennessy (LVMH), pôle naissant articulé autour d’un certain mode de vie à la française : haute couture et alcools fins. Une fois officiellement conquise la direction de LVMH, rien n’arrêtera plus l’insatiable appétit de son patron : les acquisitions se multiplient à un rythme effréné, avec des succès d’ailleurs aléatoires, dans des domaines aussi diversifiés que le luxe, les sociétés de ventes aux enchères, les grands crus, la banque en ligne ou la net-économie (secteur dans lequel Bernard Arnault subira un échec cuisant).

Le coeur de l’ouvrage, on y vient, est en effet là ! Quels ont été les conditions et les moyens d’un succès aussi prompt ? La constitution du groupe LVMH s’est-elle faite sans erreurs et sans heurts ? Le chevalier de l’industrie du luxe est-il exempt de tout reproche moral ? Bernard Arnault n’est-il finalement qu’un simple, mais doué, financier, ou un industriel soucieux de créer de la richesse ?

L’Ange exterminateur, pour répondre à ces questions et éclairer un succès foudroyant, se fait alors précis ou manuel des pratiques capitalistiques des années 1980. Lesquelles n’apparaissent pas, à l’heure où la déontologie est portée au pinacle, des plus vertueuses ! Car finalement l’astuce, le génie même, de Bernard Arnault est de profiter de la relative liberté offerte sur les marchés par le flou ou l’absence de réglementation. Réglementation qui ne se codifie qu’après les blitzkrieg, et les abus (pour légaux qu’ils soient), menés d’une main de maître par notre financier, qui se masque derrière les airs respectables du capitaine d’industrie. Exterminateur, Bernard Arnault l’est surtout, à en croire Airy Routier, dans ses rapports avec les autres. Incapable de fendre l’armure, ouvert en revanche aux pires moyens pour ceux qu’il accuse de félonie, Bernard Arnault ne se plie pas aux coutumes du « savoir-vivre en bourse » et se créé ainsi des inimitiés farouches. L’affaire Gucci, qui l’oppose à un autre baron du capitalisme français, François Pinault, en est révélatrice, elle qui transforme une « OPA amicale » en une lutte d’influence homérique entre tous les acteurs financiers de la place mondiale ! Lutte pour laquelle tous les moyens sont bons : du mensonge de bon aloi à l’inspection nocturne des poubelles de la proie à l’aide d’agences en « intelligence économique »…

L’Ange exterminateur constitue, on le devine, un passionnant thriller, dans lequel ne manque aucun des ingrédients qui font le succès du genre !

Gauthier Descambres
( Mis en ligne le 14/02/2003 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)