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The Beatles Anthology
de The Beatles
Seuil 2000 /  53.44 €- 350.03  ffr.

traduit de l'anglais par Philippe Paringaux

Les Beatles vus de l'intérieur

Enfin la voilà la Bible, la somme, en tout cas le pavé (plus de deux kilos) sur le groupe majeur de l'histoire du rock'n roll, le seul à avoir tutoyé Jésus aux sommets de la popularité L'objet laisse perplexe. Près de 1300 photos, plus de 360 pages grand format aux textes denses, à la mise en page compacte. Une construction originale : une sorte de collage des témoignages des acteurs eux-même mis bout à bout et tirés de centaines d'heures d'interviews, principalement puisés dans les bandes du film documentaire éponyme réalisé par Bob Smeaton en 1995. Le résultat est un montage vivant et imaginatif qui suit pas à pas l'aventure des Beatles vue de l'intérieur. Et un jeu subtil entre progression chronologique et découpage thématique fait de cet ouvrage un document passionnant, un "OENI", (Objet Editorial Non Identifié).

Parfois aussi ce parti pris de montage, au sens cinématographique du terme, nuit à la lecture proprement dite. Ou alors, il faut prendre la tangente, partir et revenir, effectuer soi-même, par immersions successives, des mouvements de champ-contrechamp. L'autre limite de l'exercice réside dans le fait que la parole est donnée uniquement aux quatre membres du groupe et à leur entourage. Il s'agit bel et bien de ce que les Anglo-saxons appellent une "biographie autorisée", mieux (ou pire selon le point de vue duquel on se place), toutes les étapes de la rédaction se sont faites sous le contrôle absolu de Paul McCartney, Ringo Starr, George Harrison, les trois survivants, et de Yoko Ono, la veuve de John Lennon. Par exemple, on peut déplorer l'absence de Cynthia, la première femme de John et de son fils aîné Julian... Ces réticences exprimées, on se doit de reconnaître que, du point de vue formel, l'écueil de l'hagiographie est parfaitement évité. Autre point remarquable, la qualité du travail de traduction de Philippe Paringaux, l'un des fondateurs du magazine Rock and Folk.

Si les deux bornes qui forment l'alpha et l'oméga de l'histoire peuvent être datée - un soir de juillet 1957 où Paul (15 ans) se lie à John à la fête de leur école, et ce 8 décembre 1980 où John meurt sous les balles de Mark Chapman au pied de l'immeuble Dakota à New York - l'aventure des Beatles, proprement dite, n'a duré que dix années seulement, mais dix années de folie qui ont secoué la planète. "On n'était pas seulement dans l'air du temps, on était dans l'esprit du siècle", avaient-ils coutume de dire. Ce livre, cette longue conversation qui est une sorte de chronique intime de la vie des Beatles, en rend bien compte. Le lecteur a l'impression d'entrer dans cette intimité, non par effraction mais tenu par la main des acteurs eux-mêmes au point de se prendre bien souvent à rêver qu'il est le cinquième Beatles.
Par le jeu des anecdotes, on s'approche souvent de l'essentiel. Et elle n'était pas si rose la vie d'artiste. Ecoutons George : "Tout ce qu'on voulait, c'était faire partie d'un groupe de rock, mais comme l'a dit Shakespeare, le monde n'est qu'une scène et les gens ne sont que des acteurs. Etre les Beatles, c'est comme un costume qu'on a porté durant cette période, mais ce n'est pas vraiment nous. Ce n'est aucun de nous."

Bien qu'aucune ligne ne soit écrite sans leur aval, le livre aborde aussi les sujets qui fâchent. La drogue, la schizophrénie, les conflits internes. "Notre grand souci, pendant dix ans, ce fut de ne pas devenir dingues." Et pourtant. Alors, au détour des pages, on retrouve les années LSD. Paul: "J'admets que ça peut être dangereux, mais j'en ai pris dans un but délibéré: trouver une réponse au sens de la vie. J'en ai pris et ça m'a ouvert les yeux. Nous n'utilisons qu'un dixième de notre cerveau." John, dès 1968, se fait plus précis: "On ne regrette pas d'avoir pris du LSD. Ca a été un tremplin, mais on devrait être capable désormais de faire nos expériences par nous-même... Dans tout voyage - qu'il soit chimique ou autre - ce qu'on découvre c'est sa propre conscience."

La genèse des albums-clé, la chronique de la création sont des passages remarquables de l'ouvrage. Et, de temps et temps, tout cela ne tenait qu'à un fil. Prenez la pochette d'Abbey Road, une image qui a fait tant couler d'encre. Explication de Paul lui-même: "Le passage pour piétons était juste devant le studio, on a dit: "Allons dehors, trouvons un photographe et prenons le passage pour piétons. En une demi-heure ce sera fait."... On a convoqué le photographe Iain Macmillan, on lui a donné une demi-heure et on a traversé." Et les pieds nus de Paul, signe de mort dans la Mafia? réponse de John: "C'est son petit gimmick à lui. Je ne l'avais même pas remarqué avant d'avoir l'album en mains."
Autre point fort du livre, les premières années, celles d'avant la célébrité qui étaient évidemment les moins connues. Les Beatles ont confié les photos qu'ils ont prises eux-mêmes à l'époque et ils expliquent comment ces années de formation ont dicté la suite. Paul en un portrait-synthèse du groupe au moment de l'arrivée de Ringo en 1962, résume l'alchimie Beatles: "Pete Best était un peu limité. Quand Ringo jouait avec nous, on avait un peu plus de pêche, des breaks un peu plus imaginatifs et le groupe tournait rond. (...) La nouvelle combinaison était donc parfaite.: Ringo avec son beat solide, son humour laconique et son charme à la Buster Keaton, John avec son esprit acéré et son amour du rock'n roll, mais aussi son autre côté plus doux, George avec son grand talent d'instrumentiste et sa capacité à chanter du bon rock'n roll. Et puis moi, qui savais un peu jouer et chanter du rock'n roll et des morceaux plus doux." Sous la subtilité de leurs arrangements, l'inventivité de leur inspiration, on avait tendance à oublier que les Beatles étaient avant tout un groupe de ROCK'N ROLL. La preuve, ils le disent eux-mêmes.

Même si son caractère officiel nuit parfois à l'exhaustivité de l'entreprise, The Beatles Anthology est un tour de force magistral pour plonger au coeur de l'aventure majeure de la musique populaire du XXème siècle, pour la faire revivre à nouveau en direct pour ceux qu'elle a marqué de manière indélébile, pour la relater aux générations qui ont grandi dans les années 70 et 80. A ce propos Ringo Starr aime raconter cette anecdote: invité à une émission télévisée pour les enfants, il y a une dizaine années, "Shining Time Station", une toute jeune participante lui a demandé ce qu'il avait fait avant d'être à la télé. Réponse de l'intéressé: "J'ai joué dans un orchestre" Le plus grand.


Fabrice Guillermet
( Mis en ligne le 07/11/2000 )
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