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La vie musicale sous Vichy
de Myriam Chimènes
Complexe - Histoire du temps présent 2001 /  28.85 €- 188.97  ffr. / 420 pages
ISBN : 2870278640

Sous la direction de Miriam Chimènes



Chanter malgré l'orage

Sur l'attitude des intellectuels et artistes français sous le régime de Vichy, nous disposons désormais d'une littérature abondante. Sur la musique, en revanche, n'existaient que des études éparses. Quant aux biographies de musiciens français, elles abordent rarement de front ce problème. Pourquoi ces lacunes ? Parce que, dans un disque d'Alfred Cortot jouant Chopin, on n'entend que Chopin ; et Maurice Chevalier, quelque reproche qu'on puisse lui faire, n'a jamais chanté d'hymne à la haine raciale.

Au fond, peu de compositeurs, interprètes, éditeurs ou musicologues français se sont prêtés au jeu de la collaboration à outrance, pas plus qu'ils n¹ont intégré des réseaux de Résistance active. Parfois, ce sont les mêmes, tel Claude Delvincourt, directeur du Conservatoire depuis 1941, insoupçonnable vichyste passé clandestinement en 1942 au Front national, sans quitter ses fonctions. Tous les autres s'accommodent, alternant soumission crapoteuse et menus faits de subversion. Même Alfred Cortot, qui, de tous, passe pour le plus favorable à la Révolution nationale, semble moins intransigeant qu'il n'y paraît. Le célèbre pianiste qui, dès 1940, lit des discours de Pétain et, en 1942, entre au cabinet d'Abel Bonnard pour y présider un « super-ministère » de la musique, se tirera avec les honneurs de l'enquête diligentée contre lui en février 1945 ; il apparaîtra en effet qu¹il a fait libérer nombre de prisonniers musiciens, et même des juifs. Cortot, du reste, objectera benoîtement n'avoir servi aucune idéologie, et Delvincourt lui saura gré de l'avoir fidèlement protégé.

Dans une étude impitoyable sur l'exclusion des juifs du Conservatoire, Jean Gribenski montre par ailleurs qu'elle fut essentiellement due non à la politique de Vichy, mais à la maladresse, au zèle fonctionnaire et à la sottise d'Henri Rabaud, son directeur en 1940 qui n'hésite pas à contacter la Propaganda Staffel pour qu¹elle l¹aide à débrouiller les directives contradictoires de l'État français et des autorités allemandes concernant le "caractère racial du personnel administratif et enseignant". Il n'en faut pas davantage pour intéresser les nazis à la noble institution et y mettre en oeuvre une aryanisation intégrale...

Zèle, désintéressement, opportunisme : lénifiant cocktail de tant d'innocents ! Et il est vrai que la guerre, en faisant fuir les Milhaud, Menuhin, Stravinsky, Casadeus, opère un incroyable renouvellement du personnel musical. Les nouveaux venus, plus ou moins conscient de profiter d'un odieux état de fait, s'appellent Pierre Fournier, Germaine Lubin, Jacques Thibaud, Marguerite Long, Georges Thill, Roger Désormière, Édith Piaf, Charles Trenet, Maurice Chevalier... Tous ne s'interrogent pas sur leur succès soudain. Plus que les autres encore, les chanteurs se fichent de la situation politique. S'il leur arrive de chanter pour l'occupant ou, au contraire, de le provoquer ouvertement, comme Piaf, il n'y faut voir qu'une affirmation de leur souveraine liberté d'artistes. "Chanter quoiqu'il arrive", professe la Môme ; et Trenet, dans son Swing Troubadour : "Chanter malgré l'orage..." Mais que dire de Lucienne Boyer ("Parlez-moi d'amour"), dont le cabaret porte ostensiblement l'affiche "interdit aux Juifs" ?

A l'image de Maurice Chevalier, dont la complaisance, jamais criminelle, se mêla à la Libération de crânerie franchouillarde, la musique ne s'est que difficilement laissée inféoder par l'un ou l'autre bord. Et s'il y eut un Front national des musiciens, on est étonné d'apprendre que ni les instances culturelles de Vichy, ni les médias collaborationnistes n'émirent d'interdit sur la musique de jazz (hormis celle de Gershwin, juif), qui aura connu pendant cette période un essor sans précédent. Plus surprenant encore : le jazz, et son avatar chansonnier qu'est le swing, ont pu bénéficier ­ sauf exception ­ d'un soutien effectif dans la presse collaborationniste. Hugues Panassié, maurrassien et jazzologue de renom, ira jusqu'à dire que le jazz noir est l'expression d'une pureté de race ! De fait, même après l'interdiction des disques américains en 1942, on entendra sur les ondes de la Radiodiffusion nationale des émissions consacrées à Armstrong ou Ellington, et le fulgurant succès des Hot Clubs s¹exportera jusque dans les Stalag...

On trouvera encore dans ces pages, qui rassemblent vingt et un articles traitant de tous les aspects de la vie musicale française de 1939 à 1945, d'intéressantes études sur la programmation musicale sur Radio-Paris et sur la place de la musique germanique en France occupée, sur les Jeunesses musicales de France ou sur les tribulations de la SACEM. On apprendra enfin que l'hymne Maréchal, nous voilà ! ne parvint jamais à supplanter La Marseillaise lors des cérémonies officielles ­ ce qui n'est pas une mince nouvelle...

Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 19/11/2001 )
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