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Matière noire - et autres cachotteries de l'univers
de Alain Bouquet et Emmanuel Monnier
Dunod - Quai des sciences 2003 /  19 €- 124.45  ffr. / 206 pages
ISBN : 2-10-006965-9
FORMAT : 16x24 cm

Préface de Trinh Xuan Thuan.

L'auteur du compte rendu : Samuel Gissot est doctorant à l'observatoire royal de Belgique.


La part d'ombre de l'Univers

Dans les années 30, un physicien suisse, Zwicky, observe la vitesse des galaxies dans l’amas Coma Berenice. Sa conclusion est édifiante : les galaxies observées ont des vitesses beaucoup trop grandes. En effet, d’après le théorème du viriel, la masse visible (lumineuse), n’est pas suffisante pour retenir ces galaxies si rapides au sein de l’amas et ainsi le maintenir en équilibre. Il existerait donc une matière invisible dans de fortes proportions: la matière noire.

Le scientifique et théoricien Alain Bouquet, et Emmanuel Monnier, journaliste scientifique, nous conduisent au cœur d’un des mystères les plus excitants de la physique actuelle. Dans la multitude d’idées et d’hypothèses proposées par les physiciens, jamais à cours de nouvelles théories, les auteurs prennent le parti de nous présenter un siècle de recherche scientifique autour de cette fameuse matière noire, qui continue encore aujourd’hui de laisser perplexes les cosmologistes comme les physiciens des particules.

En dépit de son faible succès à l’époque, plusieurs découvertes confirment celle de Zwicky au cours du XXe siècle. En particulier celle de Rubin, en 1964, qui fera date. Elle montre notamment que la vitesse de rotation de la galaxie d’Andromède, mesurée par effet Doppler, est quasiment constante à mesure que l’on s’éloigne du centre, où la masse lumineuse visible se concentre. Ce qui mène de nouveau à une contradiction avec la théorie qui dit que cette vitesse doit être plus faible pour les étoiles situées en périphérie de la galaxie. La matière noire prendrait la forme d’un halo entourant la galaxie, beaucoup plus grand, qui représenterait 90% de sa masse.

Depuis les années 90, les astronomes observent dans les rayons X de vastes nuages de gaz ionisés (10 fois plus de matière que les étoiles visibles) dans les amas de galaxies de plusieurs millions de degrés. Or, à nouveau, seul un excédent très important de masse non lumineuse est susceptible d’expliquer, par l’effet de gravité, un tel échauffement de la matière. L’effet de lentille gravitationnelle, enfin, qui est décrit théoriquement par la relativité générale, vient confirmer l’existence de cette matière noire, et permet même de la cartographier, c.a.d. de préciser comment cette matière se répartit dans l’espace.

Si les physiciens s’intéressent tant à cette matière noire, c’est que la densité de matière de l’univers est liée à la géométrie de ce dernier. Friedman et Lemaire ont démontré que seules trois géométries satisfont l’équation d’Einstein pour un espace-temps à quatre dimensions et une courbure spatiale constante. En dessous d’une certaine densité critique, environ trois atomes d’hydrogène par mètre cube d’univers, l’univers est hyperbolique. Il est plat quand la densité est égale à la densité critique, et sphérique quand cette densité est supérieure à la densité critique. Dans ce dernier cas, l’expansion décroît jusqu'à s’inverser, menant au fameux «big crunch». La compréhension de la matière noire est donc cruciale.

L’étude récente (printemps 2000) du rayonnement fossile, réalisée grâce aux données du ballon-sonde Boomerang, et confirmée par le satellite WMAP, indique une géométrie plate de l’univers. De plus, les projets Supernova Cosmology Project et High-z Supernova Search Team, qui mesurent, grâce aux supernovae (explosion d’un certain type d’étoiles), la vitesse de l’expansion de l’univers, ont montré que celle-ci était en accélération. C’est à cette dernière découverte que l’on doit la réhabilitation de la légendaire constante cosmologique, introduite par Einstein dans son équation pour écarter la possibilité d’un univers en expansion, avant de l’abandonner après avoir admis cette expansion.
Ainsi 70% de la densité critique de l’univers actuel sont constitués d’une énigmatique énergie noire, qui expliquerait cette accélération de l’expansion. Reste à comprendre l’origine des 30% de la densité critique existant sous forme de matière, qui se composent de très peu de matière classique (environ 4%), les 26% restant étant la matière noire.

Le premier candidat pour cette matière noire est un objet de matière classique, semblable à Jupiter, et trop peu massif pour être une étoile : le MACHO (Massive Compact Halo Object). Mais les deux campagnes d’observations MACHO et EROS, utilisant à nouveau l’effet de lentille gravitationnelle, ont montré qu’au maximum 10% du halo de matière noire pouvait être expliqués par ces objets. De plus l’expérience Boomerang confirme que seuls 4 ou 5% concernent la matière classique dite baryonique, sous forme de protons et de neutrons. Ces résultats son en accord avec le modèle de nucléosynthèse, grand succès de la théorie du big-bang, qui prévoit que la quantité de matière baryonique est de l’ordre de 4% de la densité critique. Il est donc hautement probable que la matière noire n’est pas faite de matière «classique», mais plutôt de particules neutres et massives. Des propriétés de cette particule de matière noire dépend le mécanisme de formation des structures. Si la matière noire est chaude, faite de particules légères et rapides, c’est l’hypothèse d’une construction des petites structures vers les plus grandes (des galaxies vers les amas) qui l’emporte. Au contraire, si la matière noire est froide et lente, c’est l’hypothèse inverse qui est retenue. Le neutrino est une particule insensible aux photons, qui rythme la conversion entre protons et neutrons. Il est un bon candidat pour la matière noire chaude, mais malheureusement il est difficilement détectable du fait de sa faible interaction avec la matière. La masse du neutrino, mesurée par les expériences Superkamiokande et SNO, est finalement trop faible pour résoudre l’énigme de la matière noire.

Les derniers candidats en date, qui portent les espoirs des cosmologistes, se nomment les WIMPs (Weakly Interactive Massive Particules), sorte de gros neutrinos. Ils sont prédits par la théorie de la supersymétrie dont le but est de tenter d’unifier les quatre interactions, et qui prédit l’existence d’une particule stable et massive (à cause de la brisure de supersymétrie), réagissant encore plus faiblement avec la matière que le neutrino. Parmi les WIMPs, les expérimentateurs d’Edelweiss cherchent la particule supersymétrique la plus légère (donc la plus stable), le neutralino, dont la masse devrait être au moins 30 fois plus lourde que celle du proton (selon les modèles), ce qui est idéal dans l’hypothèse d’une matière noire froide privilégiée par les physiciens. Une autre particule hypothétique, l’axion, est aussi en compétition pour être la particule de la matière noire.

Malgré la complexité du sujet, les auteurs parviennent à rendre la description de la recherche fondamentale sur la matière noire très captivante, en entretenant le suspense qui tient encore en haleine les spécialistes de la question. Les principales théorie sont expliquées clairement, de la relativité générale à la mécanique quantique en passant par la description des supernovae et la théorie du big-bang. On trouvera une description passionnante des expériences réalisées, qui montre comment certains efforts gigantesques ont abouti à des conclusions en demi-teinte, notamment dans le cas des programmes d’observation MACHO et EROS. D’autres expériences fascinantes sont retracées, l’expérience EDELWEISS sur les WIMPS et d’autres concernant le neutrino (SNO par exemple). On retiendra aussi la description, plus anecdotique, de la théorie MOND, dans laquelle les lois de Newton sont modifiées pour expliquer les observations mettant en évidence la matière noire. L’annonce prématurée et peu convaincante de la découverte du neutralino par des chercheurs de l’expérience sino-italienne Dama illustre, quant à elle, la rigueur indispensable dans de tels travaux de recherche. Les futures missions comme Planck, ou le rôle du LHC (accélérateur de particules) et leur lien avec la matière noire sont également bien introduites. L'emploi de notes, sur des sujets variés, et s’insérant parfaitement dans le texte, est fort appréciable.

En revanche l’absence de figures est assez dommageable. De plus les derniers chapitres abordent des notions assez complexes comme la supersymétrie ou la théorie des cordes, qui risquent de rebuter un lecteur débutant n’ayant jamais entendu parler du modèle standard ou de l’unification des forces. En bref ce livre, très clair, passionnant et instructif, est cependant un peu trop complet pour être un ouvrage de vulgarisation, en particulier pour un lecteur débutant.

Samuel Gissot
( Mis en ligne le 26/05/2004 )
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