L'actualité du livre
Documentaireset Historique  


James Nachtwey, War Photographer
de Christian Frei
Editions Montparnasse 2004 /  2.29 € - 15 ffr.
Durée film 97 mn.
Classification : Tous publics
Sortie Cinéma : France, 2001

Nomination à l’Oscar du meilleur documentaire 2002
Sélection officielle de Locarno en 2002

Version : DVD 5 / Zone 2
Format image : Format 16/9 compatible 4/3
Format audio : Français, Anglais (Dolby Digital 5.1 et Stéréo)
Sous-titres : Français



A l’heure où tout le monde scande qu’il n’y a rien de plus mensonger qu’une image, qu’il n’y a rien de plus facile à manipuler qu’elle, à l’heure où nous sommes si inondés de ces signes que nous finissons par ne plus les voir, le documentaire de Christian Frei, James Nachtwey, War Photographer, paraît bien salutaire…

Nachtwey est américain. Né en 48. Depuis 25 ans, il balade son appareil photo pour capter les cicatrices et les plaies souvent ouvertes d’un monde abîmé. Christian Frei, le réalisateur, l’a suivi pendant deux ans pour réaliser ce poignant et superbe documentaire. Grâce à une mini-caméra placée juste à côté du viseur de la camera obscura, le spectateur assiste, en temps réel, à la naissance d’une Image, celle-là même que l’on retrouvera peut-être dans quelques rares magazines après... La preuve par l’image que Nachtwey a fait sienne la devise de Robert Capa : « Si tes photos ne sont assez bonnes, c’est que tu n’es pas assez près. » La caméra de Frei, quant à elle, reste en retrait, donnant ainsi une vision globale du moment. Il construit son tour d’horizon du personnage comme un voyage, allant du terrain miné à son appartement de New York en passant par les salles de rédaction.

Nachtwey, mutique, véritable loup solitaire, impressionne, dans tous les sens du terme. Sa pratique de la photographie est quasi religieuse. Sa vie n’a qu’un objectif : capter l’Image, cet « instant décisif » dont parlait Henri Cartier-Bresson. Et pour cela, il se frotte à ce que des milliards d’entre nous n’imaginent même pas, voire préfèrent occulter. Il lui faut être humble et respectueux pour pouvoir s’approcher ainsi, quelles que soient les épreuves subies par ses témoins de l’Histoire. On le croit indécent, gonflé ; il estime ne prendre que ce qu’on lui donne. Une complicité tacite s’instaure entre lui et eux, qui, à ses yeux, comprennent qu’il est important que le reste du monde sache… Jamais il n’est rejeté.
Les images sont souvent dures et, heureusement, ne sont pas desservies par de commentaires superflus. Une bonne partie des drames des deux dernières décennies sont là, ceux de la Grande Histoire mais aussi de la petite : Afghanistan, Bosnie, Rwanda, Somalie, Indonésie… Mieux vaut être bien disposé pour visionner ce document. Comme lui, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi, pourquoi les hommes s’infligent-ils tout cela ? La question, certes triviale, taraude constamment le familier des nouvelles du monde. Pour cela, le documentaire peut être éprouvant à regarder. Luxe d’occidentale confortablement installée dans un canapé moelleux qui s’émeut, à travers la lucarne, de ce qui passe ailleurs…

On peut aussi se demander pourquoi, pourquoi persister à se confronter à l’enfer du monde ? En fait, Nachtwey nourrit un rêve un peu fou : que la photographie devienne un remède contre la guerre. Il a bon espoir car il y a un précédent. A l’origine de sa vocation en effet se trouvent les images bouleversantes de la guerre du Vietnam, désormais connues pour avoir renversé l’opinion américaine. Peut-être espère-t-il une autre révolution en poursuivant sa mission de réveil des âmes tranquilles ?

C’est aussi, d’une certaine manière, le rôle que se donne le festival international du photojournalisme « Visa pour l’image » qui a débuté ce week-end à Perpignan. 90% des photos montrées lors de ce rendez-vous exceptionnel ne se trouveront jamais dans la presse. Qui a envie de voir la guerre, l’horreur, la souffrance, l’injustice en feuilletant son magazine le matin au petit déjeuner ou dans le métro ? Evidemment, il est plus facile de s’insurger contre les caprices des people de retour de Saint-Tropez… La place attribuée au photojournalisme dans les journaux est de plus en plus maigre, entraînant une concurrence aiguë chez les reporters d’image, qui, pour avoir une chance d’être publié, se laissent parfois aller à la surenchère dramatique…

On retrouve cette réalité de la presse dans ce documentaire, décidément très complet. Le réalisateur s’attarde dans une salle de rédaction. Nachtwey n’est pas présent lors de la sélection de la photo « qui tue »... Excusez l’expression mais quand on entend un directeur artistique s’extasier : « C’est super ! On les a ici les morts… » en parlant des montagnes de cadavres de Goma qu’on ne pouvait enterrer, il y a de quoi ressentir un certain malaise… On s’attend presque à entendre : « il n’y aurait pas une image avec un charognard sur un enfant décharné ? ça ferait bien en ouverture du sujet. » Là, dans ces bureaux haut perchés, loin de l’approche humaniste de Nachtwey, ce que montre l’image devient matériau : un tas de corps déshumanisé ; en fait, des formes sur une feuille… Est-ce une manière de se protéger face à l’horreur de la réalité, une conséquence de la banalisation de la diffusion d’images terrifiantes, un dédain face à la misère du monde ou un souci sincère de montrer l’image « juste » pour secouer la population ?

Une rétrospective a été consacrée à Nachtwey à New York. 20 ans de carrière. La caméra se balade, capte l’effroi et l’incrédulité des visiteurs… Que reste-t-il de ces vies encadrées en sortant de la pièce ? Qu’en reste-t-il en rangeant le DVD dans sa boite ? Qu’en reste-t-il en fermant le magazine ? A la suite d’un sujet en Indonésie sur une famille vivant entre deux voies de chemin de fer (il faut vraiment le voir pour le croire…), Nachtwey a reçu de nombreuses lettres dont certaines avec des billets verts pour cette famille. Signe qu’il est sur le bon chemin. On dit de Nachtwey qu’il est un « photographe de guerre ». « Homme photo-sensible » conviendrait plus, il me semble…


Sonia Arfaoui
( Mis en ligne le 30/08/2004 )
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