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Bande dessinée -> Réaliste |
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Pied-de-biche et pied-de-nez | | | Pascal Rabaté Sébastien Gnaedig Le Linge Sale Vents d'ouest - Integra 2014 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 128 pages ISBN : 978-2-7493-0766-4 FORMAT : 17,4x24,8 cm Imprimer
Après vingt ans de bonne conduite, Martino sort de prison. Le problème, cest quil ne sest jamais repenti davoir cherché à tuer sa femme et son amant. Il na même quune chose en tête : retrouver le couple et mettre un point final à sa vengeance. Voilà donc le mari cocu qui débarque à la gare de Cholet. Il découvre alors une famille bien recomposée, quil va vouloir faire souffrir au maximum.
On pense à Fenêtre sur cour, auquel Rabaté rendait déjà un vibrant hommage dans son dernier album comme auteur complet. Mais un Hitchcock renversé, où lassassin utilise les jumelles pour espionner la vie privé de ses victimes. Martino, derrière ses buissons, observe le quotidien dune famille qui nous est rendue dans toute sa banalité, et toute sa tendresse.
Deux mondes sopposent. Celui de Martino est tout en artifice, avec le souvenir de son pavillon neuf, de sa cheminée en tuffeau, ses couronnes mortuaires parfaites et sa distance glacée. En face, la famille tuyau-de-poêle des Verron na pas dautre morale que lesprit de clan. Leur bonne humeur, nourrie dindépendance et dun pied-de-nez à la société, oppose un modèle de vie en chair à la douleur superficielle de lex-taulard. Mieux vaut la malhonnêteté sincère au calcul hypocrite.
Cest le même milieu que Rabaté décrit dalbum en album, dans La Marie en Plastique comme dans Crève Saucisse, mais aussi dans ses premiers livres publiés, déjà, chez Vents dOuest : on retrouve de titre en titre ces familles campagnardes aux dialogues dignes dAudiard, puisant leur énergie dans le collectif et dans la jouissance au naturel. Le polar en sort renouvelé, porteur dune gravité plus grande que les éternelles courses poursuites urbaines.
Ce nest pas à la société daujourdhui que sattaquent les auteurs. Le cadre na pas de date. Souvent, dans les scénarios de Pascal Rabaté, le temps sarrête. Ici, seule une petite référence à leuro nous indique que non, laction ne se situe pas dans les années soixante-dix. Dailleurs, lhôtelière préfère parler en francs. Didier revient de larmée comme au bon vieux temps du service militaire. Les vêtements, les décors, les coiffures évoquent une France intemporelle, rurale, loin des modes et des technologies. Casses, majorettes, kermesse rythment le paysage.
Cest aussi que le scénario du Linge sale date dun ancien projet de film, avant que Rabaté envisage de le dessiner lui-même et le laisse dans les mains de léditeur Sébastien Gnaedig. Celui-ci en sortit tellement emballé quil finit par prendre en charge le dessin, à défaut de lédition. On le comprend : les dialogues sont extraordinaires. Il suffit douvrir lalbum au hasard pour pêcher des répliques danthologie, mélange de créativité et de formules populaires : « le parcours pour aller au violon il est fléché et cest sans moi. » « Cest les braguettes qui payent ! » « Mélangez-vous les poils ! Des coups à tirer, il ne va plus y en avoir des tonnes. » Bien loin de la littérature classique prônée par Martino, qui ne fait que réciter Hugo.
Une véritable leçon de mots.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 17/09/2014 ) Imprimer
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