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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
| Olivier Dabène Vincent Geisser Gilles Massardier Collectif Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXIe siècle - Convergences Nord-Sud La Découverte - Recherches 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 334 pages ISBN : 978-2-7071-5626-6 FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de linstitut diplomatique du ministère des affaires étrangères. Imprimer
Depuis le triomphalisme démocratique de 1989-90 et du début des années 2000, le temps est aux interrogations sur la démocratie. La vision binaire des bonnes démocraties versus les méchants non-démocrates continue dêtre utilisée, comme on la vu durant les élections américaines avec les discussions sur une possible Ligue des Démocraties, ou lorsque la politique étrangère des États-Unis et dIsraël est en dernier lieu justifiée parce que ce sont des démocraties. Le ton des analyses politologiques a pourtant bien changé depuis les arguties sur les transitions démocratiques, la conditionnalité démocratique, et la démocratie comme remède miracle pour la construction des États après les conflits. Cet ouvrage sefforce de dépasser les simplifications idéologiques, dont les fondements culturalistes, fleurant bon le XIXe siècle colonialiste, sont de moins en moins masqués. Lobjectif est de montrer certains processus communs dans les régimes politiques démocratiques et autoritaires. Comme parfois dans les ouvrages collectifs, on perd un peu de vue le projet central, certaines contributions, tout en étant intéressantes, sont à la lisière du fil directeur, et on reste sur sa faim parce que certaines zones géographiques sont délaissées (le Moyen-Orient est fortement privilégié).
Mais lensemble permet de poser des questions indispensables. Dabord, il sagit de montrer que les régimes autoritaires sont complexes. La libéralisation économique na pas vraiment produit des centres de pouvoir compétitifs ni provoqué un grand enthousiasme des classes moyennes montantes pour la démocratie. Les régimes ont souvent été capables de contrôler la pluralisation. Comme il avait été montré que la privatisation avait plutôt renforcé les États au Sud, louvrage montre comment louverture politique a pu devenir une ressource politique pour les régimes. Mais tout nest pas manipulation ou répression de la part de ces régimes. Lautoritarisme est aussi produit «par en bas», et pas seulement parce quil y aurait une incapacité de certains peuples à la démocratie.
Surtout, et cest ce qui aurait pu être plus systématisé dans louvrage, les systèmes autoritaires sont en partie consolidés par leur insertion dans une mondialisation néolibérale et sécuritaire. Celle-ci est marquée par la dépolitisation, qui va à lencontre de la rhétorique officielle sur la nécessaire démocratisation. Elizabeth Picard rappelle à quel point nombre de régimes arabes restent fortement militarisés ; à la différence de la guerre froide, le discours sur la souveraineté et la nation est moins prégnant, alors que le clientélisme militaire et sécuritaire sest reconfiguré dans le cadre de limperium américain ; la latitude des régimes est moins forte quau temps de la bipolarité, lorsquil était possible de jouer de la menace de défection.
Deuxièmement, François Burgat, contempteur depuis des années des discours culturalistes sur lislamisme, montre comment le discours sur le «dialogue des cultures», comme celui sur le «choc des civilisations», permet de déplacer les vrais questions de domination et de lutte politiques. La «culturalisation» de la question palestinienne permet à Israël de ne pas penser les conséquences de loccupation. Troisièmement, le soutien des ONG ou des organisations internationales permet à des secteurs de la société civile de sexprimer parfois avec moins de risque, mais ceux-ci doivent sorganiser en fonction dun agenda, de programmes et de pratiques définis à lextérieur ; cela conduit à fragmenter et à dépolitiser la contestation. Quatrièmement, si les spécialistes dAmérique latine avaient noté la persistance d«enclaves autoritaires» héritées notamment des régimes militaires, Olivier Dabène montre quau niveau local, et face aux problèmes sociaux en particulier dans la jeunesse -, lhéritage autoritaire paraît bien présent dans la bureaucratie et dans la culture.
Une autre forme de dépolitisation, qui a fait couler beaucoup dencre, est peu évoquée : il sagit du rôle des banques centrales indépendantes, et de lexpertise dépendant de centres de pouvoir extérieurs, en particulier des institutions internationales. Au débat sur la technocratie au Sud répond celui sur lopacité de la «gouvernance» au Nord. La contribution de Gilles Massardier est intitulée «Les espaces non pluralistes dans les démocraties contemporaines». En fait, derrière le discours sur linclusion de nouveaux acteurs dans les processus de décision, de «participation», se constituent des réseaux dacteurs quasi-institutionnalisés, hors du processus démocratique classique, qui formulent les problèmes de politique publique et négocient des «solutions». Cela existe à léchelle nationale, européenne et globale, ces deux dernières échelles nétant pas spécifiquement traitées dans louvrage. Or la question est de savoir si le pouvoir ne se situe pas désormais dans ces réseaux, au prix de la transparence et de l«accountability» pourtant vantées à tout bout de champ (mais qui ne sont pas forcément démocratiques, si la «surveillance» doit être celle d«autorités» qui jugent en fonction de batteries de critères pré-définis). Lenjeu de la fameuse «gouvernance» aurait pu être ainsi plus clairement posé : en prétendant privilégier le processus, les policies sur la politics, des expertises qui limitent le choix des possibles, voire la constitutionnalisation dun nombre croissant de règles, la politique «électorale» est contournée et la contestation délégitimée.
Louvrage nous invite dès lors à utiliser les outils élaborés pour analyser la non-démocratie au Sud pour mieux comprendre la dégradation de la démocratie au Nord (réelle malgré les discours dauto-satisfaction).
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 10/03/2009 ) Imprimer | | |
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