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Fabrique d’un petit maître | | | Henri Rabaud Henri Rabaud - Correspondance et écrits de jeunesse (1889-1907) Symétrie 2009 / 49 € - 320.95 ffr. / 492 pages ISBN : 978-2-914373-24-1
Présentés et annotés par Michel Rabaud.
Préface de Benoît Duteurtre. Imprimer
Si lexcellente musique dHenri Rabaud (1873-1949) a mal survécu aux outrages du siècle passé, cest que ses prenantes fonctions de directeur du Conservatoire, de 1920 à 1941, lôtèrent trop tôt à son uvre pour quelle ne parût pas, après tant de révolutions, dater des crinolines.
«La langue musicale existe comme la langue française existe», postulait au seuil de sa carrière cet artisan peu pressé dentrer par effraction dans la postérité. Pour sa malédiction, Rabaud eut la tâche dadministrer la rue de Madrid tout au long de lan I de lOccupation, fonction dont il sacquitta, comme la naguère montré Jean Gribenski, avec un zèle maladroit. Si Jean Chantavoine, dans létude quil lui consacre ici, ne dit pas un mot de cette période, il ne tarit pas déloges en revanche sur la ponctualité, le goût du labeur et le «calme souverain» de Rabaud, dont la principale innovation, en vingt ans, aura consisté à promouvoir une politique de récompenses plus rigoureuse. Benoît Duteurtre, dans sa préface, est plus juste en rappelant que ce «conservateur bon teint» nétait pas pour autant un «gardien coincé de la tradition», et que dans le grand tumulte esthétique dont ses vingt ans furent le témoin le franckisme, le wagnérisme, bientôt le debussysme , il prit passionnément, facétieusement sa part, sans frayeur mais sans faiblesses.
Car aux tapages, il préféra la patience et le savoir-faire. Tel le savetier du Caire, sujet dun opéra-comique (Maroûf) qui lui vaudra dentrer à lInstitut, Rabaud a le culte de louvrage cousu main, qualité française. «Je veux devenir très fort, fort comme Mozart», écrit le jeune homme à son condisciple Max dOlonne principal destinataire, avec Daniel Halévy, des lettres réunies dans ce volume de correspondance : voilà qui résume lambition dun élève aussi doué que sérieux, barbu à vingt ans, alors plus soucieux du public populaire que dune élite quil méprise encore. Et qui, tout en reconnaissant sa dette à Saint-Saëns, voix de la raison, ne len surnomme pas moins «Camomille» ! Ce gentil rebelle ne va pas toutefois jusquà signer pour Dreyfus, car des officiers français ne sauraient sêtre rendus coupables de forfaiture.
Si lon veut savoir comment une jeune homme doué, ouvert aux idées de son temps, devint un petit maître au lieu dun iconoclaste, on pourra lire ce lourd recueil, reflet foisonnant dune époque le tournant du XXe siècle convaincue davoir tout vu, où régnait sur les arts une «fin de lHistoire» déjà fallacieuse.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 18/05/2009 ) Imprimer | | |